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Le dernier royaume

Le dernier royaume

Titel: Le dernier royaume Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernard Cornwell
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qu’elles
dessinaient.
    C’étaient des bâtons de runes. Nombre de Danes les
consultaient, mais Storri était renommé pour ses interprétations des signes.
Ubba était si superstitieux qu’il n’entreprenait rien si les dieux n’étaient de
son côté.
    — Alors ? s’impatienta-t-il.
    Storri continua de fixer les tiges, cherchant à y déceler
une rune ou un dessin particulier dans leurs formes éparses. Il tourna autour,
les scrutant, puis hocha la tête.
    — Cela ne pourrait être mieux, dit-il.
    — Le garçon a dit la vérité ?
    — Il a dit vrai, répondit Storri, mais les runes parlent
d’aujourd’hui, non de la nuit dernière, et elles me disent que tout est
favorable.
    — Bien, dit Ubba en se levant et en prenant son épée
accrochée au mur. Pas d’échelle, dit-il à Ragnar. Ainsi, pas d’attaque. Nous
irons donc.
    Ils craignaient jusque-là que Merciens et Saxons lancent un
assaut contre les remparts pendant qu’ils mèneraient une expédition de l’autre
côté de la rivière. La rive sud n’était que peu surveillée par les
ennemis : il n’y avait qu’un cordon d’hommes postés là pour décourager la
traversée de la Trente, et l’après-midi Ubba attaqua les Merciens. Les runes
n’avaient point menti, car aucun Dane ne mourut et ils rapportèrent chevaux,
armes, armures et prisonniers.
    Vingt prisonniers.
    Puisque les Merciens avaient décapité deux de nos hommes,
Ubba en décapita vingt. Les corps furent jetés dans le fossé au pied du mur et
les vingt têtes fichées sur des piques plantées au-dessus de la porte nord.
    — À la guerre, m’enjoignit Ragnar, sois impitoyable.
    — Pourquoi m’as-tu fait suivre par Weland ?
demandai-je, vexé.
    — Ubba y tenait.
    — Tu ne me faisais pas confiance ?
    — Ubba ne se fie qu’à Storri. Moi, je te fais
confiance, Uhtred.
    Les têtes de la porte nord furent picorées par les oiseaux
jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que des crânes et quelques mèches de cheveux
voletant au vent. Merciens et Saxons n’attaquaient toujours pas. Le soleil
brillait. La rivière coulait, limpide, devant la ville où les navires étaient
tirés au sec.
    Bien qu’aveugle, Ravn aimait monter sur les remparts où il
demandait que je lui décrive tout ce que je voyais.
    — Rien ne change, disais-je chaque fois. L’ennemi est
toujours derrière sa barrière d’arbres, des nuages planent au-dessus des
collines, un faucon chasse, l’herbe ondoie sous la brise, les martinets se
rassemblent, rien ne change. Parle-moi plutôt des bâtons de runes.
    — Les bâtons ! répéta-t-il en riant.
    — Opèrent-ils ?
    — Si l’on sait les lire, oui, répondit-il après
réflexion. J’étais doué à cela avant de perdre la vue.
    Ravn désigna d’un geste le paysage qu’il ne pouvait voir.
    — Là-bas, Uhtred, m’apprit-il, les dieux nous envoient
une dizaine de signes. Si tu sais les reconnaître, tu sauras la volonté des
dieux. Les bâtons de runes donnent le même message, mais j’ai remarqué une
chose. (Il marqua une pause et je dus le presser. Il soupira comme s’il
pressentait qu’il aurait dû se taire, mais il poursuivit.) Il vaut mieux que ce
soit un homme habile qui les déchiffre. Storri est de ceux-là. Mais moi, je ne
suis point un sot.
    Je ne compris pas la signification de ses paroles.
    — Storri ne se trompe jamais ?
    — Storri est prudent. Il ne veut point prendre de
risques et cela plaît à Ubba, bien qu’il l’ignore.
    — Alors, les runes sont des messages des dieux ?
    — Le vent est un message des dieux, dit Ravn, tout
comme le vol d’un oiseau, la chute d’une plume, le saut d’un poisson, la forme
d’un nuage, le cri d’une renarde. Tout cela, ce sont messages, mais au final,
Uhtred, les dieux ne parlent qu’en un seul endroit, conclut-il en frappant ma
tête de l’index. Ici.
    Je ne comprenais toujours pas et j’étais fort déçu.
    — Pourrais-je les lire, moi ?
    — Bien sûr, mais il serait sage d’attendre d’être plus
âgé. Combien comptes-tu d’années, à présent ?
    — Onze, lâchai-je, tenté de dire douze.
    — Peut-être vaut-il mieux que tu attendes un an ou deux
avant de lire les runes. Attends d’être en âge de te marier, d’ici à quatre ou
cinq ans.
    Cela me sembla une proposition bien saugrenue, car je
n’éprouvais aucun penchant pour le mariage ou les filles, même si cela allait
bientôt changer.
    — Thyra, peut-être ?

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