Le dernier royaume
Je brûlai l’église et, alors que j’approchais de la dernière maison,
un homme en surgit, armé d’un trident. Je l’esquivai, plus par chance que par
calcul, et lui jetai mon tison au visage. L’homme recula devant les flammes et
Ragnar en profita pour me lancer un javelot, une lourde lance de guerre
employée pour le combat rapproché. Elle tomba dans la poussière devant moi et,
comprenant qu’il m’autorisait à combattre, je la ramassai. Ragnar n’avait pas
l’intention de me laisser mourir, car il avait posté deux archers prêts à
tirer, mais il n’intervint pas lorsque l’homme se précipita de nouveau sur moi.
Je parai son coup, envoyant voler le trident. L’homme, qui
faisait deux fois ma taille et mon poids, m’injuria, me traita de bâtard du
diable et de déchet de l’enfer, puis il se rua sur moi et je fis ce que j’avais
appris en chassant le sanglier. Je m’écartai sur la gauche, attendis qu’il soit
à la hauteur de ma lance, revins sur ma droite et frappai.
J’avais mal porté le coup et j’étais trop léger pour le
repousser, mais la pointe lui avait percé le ventre. Hoquetant et grondant, il
tomba sur moi et me renversa. Il essaya de m’étrangler, mais je m’extirpai de
sous son corps, m’emparai de son trident et le lui plongeai dans la gorge.
L’homme se convulsa en suffoquant, du sang jaillissant toujours de sa blessure.
Je voulus retirer le trident, mais les barbes étaient coincées dans son gosier.
Je lui arrachai donc son épée et tentai de l’achever. Cependant, la lame ne fit
que lui effleurer les côtes. Il faisait un vacarme terrible, probablement en
proie à la panique, et je ne vis pas que Ragnar et ses hommes s’étouffaient
presque de rire à mes tentatives. Je finis par le terrasser, ou peut-être
mourut-il d’avoir perdu tout son sang, mais je l’avais tailladé tant et si bien
qu’on eût cru qu’une horde de loups s’en était pris à lui.
Je reçus un troisième bracelet, alors que certains des
guerriers accomplis de Ragnar n’en avaient que trois. Rorik en fut jaloux, mais
il était plus jeune et son père le consola en lui disant que son tour
viendrait.
— Comment te sens-tu ? me demanda Ragnar.
— Bien, répondis-je.
Et, Dieu me vienne en aide, c’était vrai.
C’est ce jour-là que je vis Brida pour la première fois.
Elle avait mon âge, elle était brune, mince comme rameau, avec de grands yeux
noirs et l’esprit aussi sauvage qu’un faucon au printemps. Elle faisait partie
des prisonnières et, alors que les Danes commençaient à se répartir les
captifs, une vieille femme la poussa en avant. Brida ramassa un morceau de
bois, se retourna contre la vieille et la frappa en hurlant qu’elle était une
vieille rosse et un tas d’os desséchés. La vieille femme trébucha et tomba dans
des orties, tandis que Brida continuait de la frapper. Ragnar riait et, comme
il aimait ceux qui avaient du caractère, il me la donna.
— Mets-la à l’abri, m’ordonna-t-il, et brûle la
dernière maison.
J’obéis.
Et j’appris une autre leçon : « Apprends à tes
hommes à tuer quand ils sont jeunes, avant que leur conscience ne s’épanouisse.
Prends-les jeunes et tu en feras des guerriers impitoyables. »
Nous rapportâmes notre butin aux navires et cette nuit-là,
je bus mon ale en ne me considérant plus comme un Angle. J’étais un Dane et
l’on m’avait donné une enfance parfaite – du moins selon les idées d’un jeune
garçon. J’étais élevé parmi les hommes, libre, j’agissais à ma guise, nulle loi
ne me retenait et j’étais rarement seul.
Et c’était cela, être rarement seul, qui me sauva la vie.
Chaque expédition rapportait d’autres chevaux qui
permettaient d’envoyer encore plus d’hommes plus loin encore dans les terres,
pour voler davantage d’argent et ramener d’autres prisonniers. À présent, nos
éclaireurs guettaient l’approche de l’armée du roi Edmond. Celui-ci régnait sur
l’Estanglie et, s’il ne voulait pas s’effondrer aussi lamentablement que
Burghred de Mercie, il devait protéger son royaume. Aussi surveillions-nous les
routes.
Brida resta auprès de moi. Ragnar l’aimait bien,
probablement parce qu’elle avait été la seule à ne point pleurer quand elle
avait été capturée. Elle était orpheline et vivait chez sa tante qui la battait
et qu’elle détestait. Il ne lui fallut que quelques jours pour se trouver plus
heureuse parmi les Danes
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