Le dernier royaume
touchait, lui, Ragnar, le châtrerait à l’aide d’un maillet et d’un
ciseau. Elle monta le cheval de Weland. Et le lendemain, l’ennemi survint.
Bien qu’aveugle, Ravn nous accompagnait, et je lui décrivis
l’armée estangle qui s’assemblait sur une crête au sud de notre camp.
— Combien de bannières ? demanda-t-il.
— Vingt-trois, comptai-je.
— Que montrent-elles ?
— Beaucoup de croix, et quelques saints.
— C’est un homme bien pieux, ce roi Edmond, dit Ravn.
Il a même essayé de me convaincre de devenir chrétien.
Il gloussa à ce souvenir. Nous étions assis à la proue de
l’un des navires tirés au sec, Ravn dans un fauteuil, Brida et moi à ses pieds,
et les jumeaux Ceolnoth et Ceolbehrt à ses côtés. C’étaient les fils de
l’évêque Æthelbrid de Snotengaham qui étaient otages bien que leur père ait
accueilli l’armée dane. Mais comme le disait Ravn, prendre les fils de l’évêque
en otage garantissait son honnêteté. Il y avait d’autres Angles qui servaient
comme soldats ; en dehors de la langue qu’ils parlaient, rien ne les
distinguait des Danes. La plupart étaient des hors-la-loi ou des hommes sans
suzerain, mais tous combattaient férocement.
— Et c’est un sot, ajouta Ravn avec mépris.
— Un sot ?
— Il nous a donné refuge durant l’hiver avant l’attaque
d’Eoferwic, expliqua Ravn, et nous avons dû promettre de ne tuer aucun clerc,
dit-il avec un petit rire. Quelle condition stupide ! Si leur dieu était
si utile, nous n’aurions pu les tuer.
— Pourquoi vous a-t-il donné refuge ?
— Parce que c’était plus simple que de nous combattre.
Ravn parlait en angle parce que les trois autres enfants ne
comprenaient pas le dane, bien que Brida l’apprît rapidement. Elle était vive
et rusée comme renarde. Ravn sourit.
— Ce sot de roi Edmond croyait que nous partirions au
printemps et ne reviendrions point, mais nous sommes là.
— Il n’aurait point dû, remarqua l’un des jumeaux.
Je n’arrivais pas à les distinguer mais ils m’agaçaient, car
c’étaient de farouches patriotes merciens, malgré l’allégeance de leur père.
Ils avaient dix ans et me reprochaient constamment d’aimer les Danes.
— Bien sûr qu’il n’aurait point dû, opina mollement
Ravn.
— Il aurait dû vous attaquer ! dirent les jumeaux
en chœur.
— Il aurait été vaincu, dans ce cas, rétorqua Ravn.
Nous avons établi un camp protégé et il nous a payés pour éviter les ennuis.
— Les Romains étaient-ils chrétiens ? demandai-je
soudain.
— Pas toujours. Ils avaient leurs propres dieux,
autrefois, mais ils les ont abandonnés pour devenir chrétiens et dès lors ils
n’ont plus connu que la défaite. Où sont nos hommes ?
— Toujours dans les marais, répondis-je.
Ubba restait dans le camp pour inciter l’armée d’Edmond à attaquer
par l’étroite langue de terre, mais les Angles étaient restés au sud de cette
région traîtresse et attendaient notre assaut. Ubba hésitait. Il avait fait
tirer les runes par Storri : l’oracle était incertain, ce qui renforçait
la prudence d’Ubba. C’était un redoutable combattant, mais toujours circonspect
quand il fallait attaquer. Cependant, comme les runes n’avaient point prédit de
désastre, il avait posté l’armée dans les marais. La bannière triangulaire
d’Ubba, le célèbre corbeau, se dressait entre deux chemins, tous deux bien
gardés par les murs de boucliers des Angles. Si nous empruntions cette voie,
nos hommes devraient affronter nombre de soldats ennemis. Je décrivis la
situation à Ravn.
— Il n’est point convenable de perdre des hommes, même
si nous sommes vainqueurs.
— Mais si nous tuons beaucoup d’ennemis ?
— Ils sont plus nombreux que nous, bien plus. Si nous
en tuons un millier, un autre millier arrivera demain, mais si nous perdons
cent hommes, nous devrons attendre que d’autres vaisseaux amènent des renforts.
— D’autres navires arrivent, fit remarquer Brida.
— Je doute qu’ils surviennent cette année, dit Ravn.
— Non, insista-t-elle, ils sont là.
Elle tendit le bras, et je vis quatre navires glissant entre
les îlots.
— Raconte-moi, me pressa Ravn.
— Quatre vaisseaux, venant de l’ouest.
— De l’ouest ? Pas de l’est ?
— De l’ouest, insistai-je.
Cela signifiait qu’ils ne venaient pas de la mer, mais de
l’une des quatre rivières qui coulaient dans le
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