Le dernier royaume
bienveillance. Tels sont les charmes du païen et du guerrier.
Et je crois qu’Odin la vit, car elle a tué plus d’hommes que
je ne saurais me rappeler.
Ensuite, avant que l’automne n’apporte ses tempêtes qui
déchirent la mer, nous partîmes dans le Sud. Il était temps d’anéantir
l’Anglie, et nous fîmes voile vers le Wessex.
Chapitre 5
Nous nous rassemblâmes à Eoferwic, où le pitoyable roi
Egbert fut forcé de passer en revue les troupes danes et de leur souhaiter la
victoire. Les équipages déguenillés des bateaux le regardaient avec mépris,
sachant qu’il n’était point un vrai roi. Il était suivi de Kjartan et de Sven,
qui faisaient maintenant partie de sa garde, même si, à mon avis, leur tâche
consistait davantage à le surveiller qu’à le protéger. Sven, devenu un homme,
portait un bandeau sur l’œil, et le père comme le fils semblaient bien
prospères.
— Ils ont pris part au massacre de Streonshall,
m’apprit Ragnar.
C’était un grand couvent non loin d’Eoferwic, et il était
évident que les deux hommes y avaient amassé un important butin.
Kjartan, qui portait une douzaine de bracelets, regarda
Ragnar droit dans les yeux.
— J’accepterai de te servir encore, annonça-t-il,
dépourvu de l’humilité qu’il affichait la fois précédente.
— J’ai un nouveau capitaine, se contenta de répondre
Ragnar.
Thorbjorn, le nouveau capitaine, surnommé Tokki, était un
excellent marin et guerrier qui racontait ses expéditions avec les Sviars dans
d’étranges contrées. Devant certains esprits crédules, il prétendait que les
peuples y dévoraient leurs propres enfants, adoraient des géants et avaient un
troisième œil à l’arrière de la tête.
Nous partîmes à la rame vers le sud sur la dernière des
marées d’été, longeant la côte et dormant sur les rivages désolés d’Anglie.
Nous descendions vers la Temse, dont Ragnar disait qu’elle nous mènerait loin
dans les terres jusqu’à la frontière nord du Wessex.
C’était lui qui commandait la flotte, désormais. Ivar le
Sans-Os avait regagné l’Irlande, emportant de l’or pour récompenser le fils
aîné de Ragnar, tandis qu’Ubba ravageait Dalriada, la terre au nord de la
Northumbrie.
— Il n’y a pas grand-chose, là-haut, m’avait dit Ragnar
avec mépris.
Ubba, comme Ivar, avait amassé tant de trésors en
Northumbrie, Mercie et Estanglie, qu’il ne se souciait pas d’en prendre
d’autres dans le Wessex. Mais comme je vous le conterai le moment venu, il
allait changer d’avis.
Pour l’heure, Ivar et Ubba étant absents, le principal
assaut sur le Wessex serait mené par Halfdan, le troisième frère : il
menait l’armée par la terre et devait nous retrouver quelque part sur la Temse.
Ragnar n’en était point heureux. Halfdan, me confia-t-il, était un sot
impétueux, une tête brûlée, mais il retrouva sa bonne humeur quand il se
souvint de ce que je lui avais appris sur Alfred : le Wessex fondait tous
ses espoirs sur ce dieu chrétien, qui s’était révélé inoffensif. Nous avions
avec nous Odin, Thor et nos vaisseaux. Nous étions des guerriers.
Au bout de quatre jours, nous arrivâmes à la Temse et
remontâmes le puissant courant. Dès midi, la rive sud, qui était autrefois le
royaume de Kent et faisait désormais partie du Wessex, dessinait faiblement une
ligne à l’horizon. Nous profitions de la marée autant que possible et nous
écorchions les mains sur les rames le reste du temps. C’est ainsi que nous
remontâmes jusqu’à Lundene, que je voyais pour la première fois.
Je croyais qu’Eoferwic était une ville, mais ce n’était
qu’un village en comparaison. Lundene, immense et envahie par la fumée des
cheminées, se dressait à l’endroit où Mercie, Anglie et Wessex se rejoignaient.
Comme Burghred de Mercie en était le seigneur, c’était maintenant une terre
dane. Personne ne s’interposa donc lorsque nous parvînmes à l’étonnant pont qui
enjambait toute la largeur de la Temse.
Lundene. J’ai fini par aimer cette ville. Pas autant que
Bebbanburg, mais il y avait là une animation que je ne retrouvai nulle part
ailleurs. Alfred me conta plus tard que tous les vices du monde se pratiquaient
ici, et j’ai l’heur de préciser qu’il disait vrai. Je me rappelle avoir
contemplé bouche bée les deux collines de la ville, tandis que le vaisseau de
Ragnar remontait le courant et se rapprochait du pont. C’était une
Weitere Kostenlose Bücher