Le dernier royaume
côté, les
paysans nous viendront en aide !
J’en doutais fort. J’avais quatorze ans, à peine l’âge de
donner envie à des hommes de lancer des attaques suicidaires sur les places
fortes danes.
— Elle n’est point une Dane, dis-je à Beocca, qui ne
m’aurait pas confié tout cela s’il avait su que Brida pourrait comprendre. Elle
est d’Estanglie.
— D’Estanglie ? répéta-t-il en la fixant.
— C’est la nièce du roi Edmond, mentis-je.
Brida gloussa et me chatouilla.
Beocca se signa de nouveau.
— Pauvre homme. Un martyr ! Pauvre enfant. (Il se
rembrunit.) Mais… commença-t-il. (Il se tut, incapable de comprendre pourquoi
les Danes si redoutés permettaient à deux prisonniers de s’ébattre tout nus
dans des thermes romains. Puis il se détourna en voyant où Brida avait posé sa
main.) Nous devons vous sortir de là tous les deux et vous apprendre à vivre
selon la loi du Seigneur.
— J’aimerais bien, commençai-je.
Brida me pinça si fort que je faillis crier de douleur.
— Nos quartiers sont au sud, dit Beocca. De l’autre
côté de la rivière, au sommet de la colline. Rendez-vous là-bas, Uhtred, et
nous vous emmènerons, tous les deux.
Je n’en fis bien sûr rien. Je racontai tout à Ragnar qui
éclata de rire à l’histoire de Brida nièce du roi Edmond et haussa les épaules
à la nouvelle du soulèvement en Northumbrie.
— Il y a toujours des rumeurs de révoltes, dit-il. Et
elles finissent toujours de la même façon.
— Il en était fort sûr, insistai-je.
— Cela signifie seulement qu’ils ont envoyé des moines
fomenter des troubles. Je doute que ce soit bien grave. Quoi qu’il en soit, une
fois que nous nous serons accordés avec Alfred, nous pourrons partir. Rentrer à
la maison !
Mais l’accord ne fut pas aussi simple que l’imaginaient
Ragnar et Halfdan. Certes Alfred était demandeur, mais il n’était pas prêt à
céder comme Burghred en Mercie. Lorsque Halfdan lui proposa de rester roi
tandis que les Danes occuperaient les forteresses saxonnes, Alfred menaça de
reprendre les combats.
— Tu m’insultes, répondit-il calmement. Si tu veux les
forteresses, viens donc t’en emparer.
— Nous le ferons, répliqua Halfdan.
Alfred se contenta de hausser les épaules, comme si les
Danes pouvaient toujours s’y essayer, mais Halfdan savait que sa campagne avait
échoué. Certes, nous avions pillé une bonne partie du Wessex, amassé bien des
trésors, massacré ou capturé du bétail, brûlé moulins, demeures et églises,
mais nous avions payé un prix élevé. Nombre de nos meilleurs guerriers étaient
morts ou si gravement blessés qu’ils devraient vivre de la charité de leur
seigneur jusqu’à la fin de leurs jours. Nous avions aussi échoué devant toutes
les forteresses saxonnes : cela signifiait que, l’hiver venu, nous serions
contraints de nous replier en sécurité à Lundene ou en Mercie.
Pourtant, les Saxons avaient eux aussi perdu nombre de leurs
meilleurs hommes, bien des trésors, et Alfred craignait que les Bretons
déferlent depuis leurs repaires des Galles ou de Cornwalum. Aussi les
négociations durèrent-elles une semaine et je fus étonné de l’entêtement
d’Alfred.
Il n’avait guère une allure impressionnante. Il était
maigrelet, avec un long visage souffreteux, mais son apparence était trompeuse.
Il ne souriait jamais devant Halfdan, ses yeux bruns et vifs quittaient
rarement le visage de son ennemi, il énonçait laborieusement ses arguments sans
en démordre, toujours calme, sans jamais élever la voix, même lorsque les Danes
s’emportaient.
— Ce que nous voulons, répétait-il sans relâche, c’est
la paix. Vous en avez besoin et il est de mon devoir de la donner à mon pays.
Aussi allez-vous quitter notre terre.
Ses prêtres, dont Beocca, notaient chacune de ses paroles,
couvrant de précieux parchemins de longues lignes d’écriture. Ils durent
utiliser toutes les réserves d’encre du Wessex durant cette entrevue, mais je
doute que quiconque ait jamais lu tous ces documents.
Cependant, les discussions ne duraient pas toute la journée.
Alfred exigeait d’aller d’abord à l’église avant de commencer le matin, les
interrompait à midi pour prier, et terminait avant le coucher du soleil pour
retourner à l’église. Combien cet homme priait ! Finalement, Halfdan
accepta d’évacuer le Wessex, contre le paiement de six mille pièces d’argent
et, pour s’assurer que
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