Le dernier royaume
ne recula. Elle tint bon et le massacre
commença.
Ravn me répétait souvent que tout était inscrit dans notre
destinée. Les trois déesses Nornes filent, assises au pied de l’arbre de vie.
Urd préside à notre passé, Verdandi à notre présent et Skuld à notre avenir.
Elles façonnent notre existence. Nous sommes jouets entre leurs mains, nous
pensons faire nous-mêmes nos choix, mais leur quenouille décide de notre sort.
Et ce jour-là, même si je l’ignorais, elles étaient en train de filer la
mienne. Wyrd bið ful årœd : Nul n’arrête le destin.
Que dire de cette bataille, dont les Saxons racontent
qu’elle se déroula en un lieu appelé la colline d’Æsc ? Ce jour-là, les
champs reçurent une abondante rasade de sang et leur content d’os. Les poètes
pourraient déclamer mille vers pour la raconter, mais une bataille reste une
bataille. Des hommes périssent. Dans le mur de boucliers, tout n’est que sueur,
terreur, douleurs, blessures et coups fatals, cris et morts cruelles.
Il y eut en fait deux batailles à la colline d’Æsc, une au
sommet et l’autre à son pied, et les morts survinrent rapidement. Harald et
Bagseg moururent, Sidroc l’Aîné vit son fils succomber puis fut à son tour
abattu, et avec lui les jarls Osbern et Fraena, et tant d’autres valeureux
braves.
L’épuisement de l’ennemi empêcha un massacre général et
permit à nos rescapés de se replier en laissant leurs compagnons baignant dans
leur sang. Tokki était de ceux-là. Le capitaine, si habile à l’épée, mourut
dans le fossé. Ragnar, visage et cheveux dénoués couverts du sang de l’ennemi,
n’en crut pas ses oreilles. Le Saxon nous huait.
Nos ennemis s’étaient farouchement battus, assurés que tout
leur avenir reposait sur cet après-midi d’hiver, et ils nous avaient défaits.
La destinée est tout. Nous fûmes vaincus et nous repliâmes
sur Readingum.
Chapitre 6
De nos jours, les Angles qui parlent de la bataille de la
colline d’Æsc disent que Dieu donna la victoire aux Saxons parce que le roi
Æthelred et son frère Alfred priaient lorsque les Danes sont apparus.
Peut-être ont-ils raison. Je crois volontiers qu’Alfred
était en prière, mais le choix de sa position l’avait aussi bien servi. Son mur
de boucliers était juste derrière un profond fossé inondé et les Danes durent
s’extraire de ce cloaque boueux pour monter jusqu’au combat où ils trouvèrent
la mort.
Halfdan fut, lui aussi, vaincu. Il attaquait à revers en
remontant une pente douce, mais c’était la fin de la journée et ses hommes
avaient le soleil dans les yeux, du moins c’est ce qu’ils prétendirent par la
suite. Le roi Æthelred, comme Alfred, encouragea ses soldats qui fondirent en
hurlant sur les troupes d’Halfdan. Et celles-ci perdirent courage en voyant
l’autre moitié de leur armée battre en retraite devant les défenses d’Alfred.
Il n’y avait sur les lieux aucun ange à l’épée flamboyante, malgré ce que
prétendent les prêtres aujourd’hui. Du moins n’en vis-je aucun. Il y avait un
fossé rempli d’eau, il y eut une bataille, les Danes furent vaincus, et ma
destinée changea.
Je croyais les Danes invincibles, mais à quatorze ans
j’appris le contraire. Pour la première fois, j’entendis les huées et les
hourras des Saxons et au fond de mon âme, quelque chose fut ébranlé.
Nous retournâmes à Readingum.
Il y eut bien d’autres combats alors que l’hiver cédait la
place au printemps. D’autres Danes arrivèrent à la nouvelle année, notre armée
se reconstitua et nous remportâmes tous les combats qui suivirent : deux à
Basengas, dans l’Hamptonscir, puis à Mereton, qui était dans le Wiltunscir, au
cœur de leur territoire, puis de nouveau dans le Wiltunscir, à Wiltun. Et
chaque fois nous gagnâmes. Ou plutôt nous étions maîtres du champ de bataille à
la fin de la journée, sans que jamais nous n’eussions anéanti l’ennemi. Alors
que l’été caressait la terre, nous n’étions pas plus près de conquérir le
Wessex que nous l’avions été à Yule.
Cependant, nous parvînmes à tuer le roi Æthelred. C’est à
Wiltun qu’il reçut une profonde blessure de hache à l’épaule gauche. Certes, on
l’emporta bien vite à l’arrière, prêtres et moines prièrent à son chevet et
d’habiles médecins le soignèrent avec simples et sangsues, mais il mourut
quelques jours plus tard.
Et il laissa un héritier, un ætheling, le
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