Le dernier royaume
attachés
devant la maison, les soldats eurent leur ale, leur pain et leur fromage, puis
ils s’assirent en rond et jouèrent aux dés en grommelant, nous laissant à la
surveillance de Willibald. Mais le jeune prêtre s’allongea sur des bottes de
paille et s’assoupit au soleil. Il nous suffit à Brida et moi d’échanger un
regard. Nous longeâmes discrètement le flanc de la demeure, contournâmes un
énorme tas de crottin et des cochons qui fouissaient dans un champ, passâmes au
travers d’une haie et nous retrouvâmes dans la forêt. Nous éclatâmes de rire.
— Ma mère voulait que je l’appelle mon oncle, minauda
Brida. Et les méchants Danes l’ont tué.
Nous convînmes que nous n’avions jamais entendu plus drôle,
puis nous nous ressaisîmes et nous hâtâmes vers le nord.
Il s’écoula un long moment avant que les soldats ne nous
cherchent. Ils prirent des chiens de chasse dans la maison où ils avaient
acheté leur ale, mais entre-temps nous avions traversé une rivière, changé de
nouveau de direction et gagné une hauteur pour nous cacher. Ils nous
cherchèrent pendant deux jours et le surlendemain nous vîmes la suite royale
d’Alfred prendre la route du Sud sous notre colline. L’entrevue de Baðum était
terminée, les Danes se repliaient donc à Readingum. Nous ignorions comment nous
y rendre, mais il nous suffisait de trouver la Temse ainsi que de la nourriture
et de ne point nous faire prendre.
Ce fut plaisant. Nous chapardions du lait au pis des vaches
et des chèvres. Nous n’avions point d’armes, mais nous nous façonnâmes des
gourdins avec des branches tombées et en menaçâmes un pauvre vieillard qui
creusait laborieusement un fossé. Il avait dans sa besace du pain et de la
purée de pois pour son repas, et nous les lui volâmes. Nous attrapions du
poisson à la main, un tour que m’apprit Brida, et nous vivions dans les bois.
J’avais remis mon amulette. Brida avait jeté son crucifix de bois, mais je
gardai le mien car il était en argent.
Au bout de quelques jours, nous décidâmes de voyager la
nuit. Au début, nous avions grand peur, car la nuit, les sceadugengan sortent de leurs cachettes, mais nous devînmes de plus en plus habiles pour
nous orienter dans le noir. Nous contournions les fermes et suivions les
étoiles, et nous apprîmes à nous mouvoir sans bruit, à devenir des ombres.
Nous réussîmes à voler un agneau avant que les chiens du
berger ne nous repèrent. Nous allumâmes un feu dans la forêt au nord des
collines et le fîmes cuire. La nuit suivante, nous trouvâmes la rivière. Nous
ignorions son nom, mais elle était large, coulait entre de grands arbres, et
non loin de là se trouvait un village où nous repérâmes une petite barque ronde
de branches de saule couvertes de peau de chèvre. Nous la volâmes durant la
nuit et nous laissâmes glisser sur la rivière, de village en village et de pont
en pont.
Nous ne le savions pas, mais c’était bien la Temse. Et c’est
ainsi que nous arrivâmes sains et saufs à Readingum.
Rorik était mort, son mal l’avait emporté. Brida et moi
arrivâmes à Readingum le jour où son corps fut brûlé. Ragnar, en larmes, se
tenait auprès du bûcher et regardait les flammes consumer son fils. Une épée,
un harnais, une amulette et un petit navire avaient été déposés avec lui.
Lorsque tout fut fini, le métal fondu fut mis avec les cendres dans une grosse
urne que Ragnar enterra auprès de la Temse.
— Tu es mon deuxième fils, désormais, me dit-il ce
soir-là. Et toi, tu es ma fille, dit-il à Brida.
Il nous étreignit, puis il s’enivra. Le lendemain matin, il
voulut prendre son cheval et aller tuer des Saxons, mais Ravn et Halfdan l’en
empêchèrent.
Ragnar était éperdu de chagrin.
— Comment le dirai-je à Sigrid ? se lamentait-il.
— Il n’est point bon pour un homme de n’avoir qu’un
seul fils, m’expliqua Ravn. Presque autant que de n’en avoir point. J’en ai eu
trois, mais seul Ragnar a vécu. Et maintenant, il n’a plus que son aîné.
Ragnar le Jeune était encore en Irlande.
— Il peut avoir un autre fils, dit Brida.
— Pas de Sigrid, dit Ravn. Mais il pourrait prendre
sans doute une seconde épouse. Cela se fait parfois.
Ragnar m’avait rendu Souffle-de-Serpent, et donné un autre
bracelet. Il en donna également un à Brida et trouva une certaine consolation
dans notre évasion. Nous dûmes parler à Halfdan et à Guthrum le Malchanceux,
qui
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