Le dernier royaume
n’a posé qu’une condition à cette entrevue,
continua Willibald. Il ne faut point que Brida vienne.
— Ah, il ne faut pas ? répétai-je.
— Dame Ælswith y tient. Elle a, à présent, un fils.
Dieu soit loué, un beau garçon prénommé Edouard. Alors, viendras-tu ?
J’effleurai le bras de Brida qui était restée auprès de moi.
— Nous viendrons, lui promis-je.
Willibald secoua la tête devant mon entêtement, mais il ne
tenta pas de me convaincre de venir seul. Pourquoi y allai-je ? Parce que
je m’ennuyais. J’y allai, parce que c’est le destin qui détermine notre
existence.
Nous partîmes au matin. C’était la fin de l’été, une pluie
fine tombait sur les arbres chargés de feuilles. Nous traversâmes d’abord les
champs d’Æthelred, qui regorgeaient de seigle et d’orge et où caquetaient les
râles des genêts. Puis au bout de quelques milles, nous nous trouvâmes dans les
régions presque désertes à la frontière du Wessex et de la Mercie. Autrefois,
ces terres avaient été fertiles, lorsque les villages étaient peuplés et que
les moutons paissaient sur les collines, mais les Danes les avaient ravagées.
Quelques habitants occupaient encore des villages et les bois étaient remplis
de hors-la-loi. Nous n’en vîmes aucun, et cela valait mieux car Brida
transportait encore avec elle une partie du trésor de Ragnar. Chaque pièce
était désormais enveloppée dans un morceau de linge pour ne point tinter à
chaque mouvement.
À la fin du jour, nous avions gagné l’intérieur du Wessex.
Alfred était établi à Wintanceaster, une belle ville située dans une campagne
prospère, qui était la capitale des Saxons. C’était bien sûr l’œuvre des
Romains, et le palais d’Alfred était en grande partie en pierre. Son père y
avait adjoint une grande salle aux poutres magnifiquement sculptées, et Alfred
faisait édifier une église en pierre encore plus grande. Un marché se tenait à
côté et je me souviens d’avoir trouvé étrange de voir une telle foule sans
aucun Dane. Les femmes marchandaient le prix des pommes, du pain, du poisson et
du fromage, et la seule langue que j’entendais avait l’accent âpre du Wessex.
Brida et moi fûmes logés dans la partie romaine du palais.
Personne n’essaya cette fois de nous séparer. Nous avions une petite chambre
chaulée, un matelas de paille, et Willibald nous demanda d’y patienter. Au bout
d’un moment, l’attente nous pesa et nous sortîmes explorer le palais envahi de
prêtres et moines. Ils nous considérèrent avec perplexité, car nous portions
tous les deux des bracelets danes ciselés de runes. J’étais un sot, en ce
temps, un sot et un rustre, et je n’eus pas la courtoisie d’ôter mes bracelets.
Certes, certains Angles en portaient, surtout les guerriers, mais pas dans le
palais d’Alfred. En vérité, cela ressemblait plus à un monastère qu’à la cour
d’un roi. Dans une salle, une douzaine de moines copiaient des livres, leurs
plumes grattant bruyamment le parchemin ; il y avait trois chapelles, dont
l’une se dressait dans un jardin rempli de fleurs. Il était beau, bruissant
d’abeilles et débordant de parfums. Nihtgenga pissait sur des fleurs lorsqu’une
voix s’éleva derrière nous.
— Ce sont les Romains qui ont planté ce jardin.
Je me retournai et vis Alfred. J’allais m’agenouiller, comme
le fait un homme devant un roi, mais il m’arrêta d’un geste. Il portait des
braies de laine et un simple bliaud de lin, et n’avait nulle escorte. Sa manche
droite était tachée d’encre.
— Sois le bienvenu, Uhtred, dit-il.
— Je vous remercie, mon seigneur.
— Et Brida également. Est-ce ton chien ?
demanda-t-il.
— Oui, répondit-elle, méfiante.
— Il semble une belle bête. Venez.
Il nous fit entrer dans ses appartements privés. Il s’y
trouvait un haut écritoire, muni de quatre chandelles. Sur une petite table
était posé un bassin d’eau pour laver ses mains tachées d’encre. Je vis une
couche couverte de peaux de mouton, six livres et un tas de parchemin posés sur
un escabeau, et un autel bas avec un crucifix d’ivoire et deux reliquaires
ornés de pierreries. Sur le rebord de la fenêtre étaient posés les reliefs d’un
repas. Il déplaça les plats, s’inclina pour baiser l’autel, puis il s’assit sur
le rebord de fenêtre et entreprit de tailler des plumes.
— Tu as été bien bon de venir, dit-il aimablement. Je
comptais te
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