Le dernier templier
déjà à Paris.
Cela ne changeait rien à ses plans. Il n’avait pas le droit d’abandonner. Il devait continuer.
Les yeux perdus sur la silhouette endormie d’Hugues, une pensée s’insinua dans son esprit. Il se dit qu’il était improbable que le vieux marin puisse atteindre Paris. Les rigueurs hivernales empireraient, le terrain allait se détériorer et la toux sifflante de son compagnon s’aggravait de jour en jour. Un peu plus tôt, cette nuit même, une fièvre foudroyante s’était emparée de lui et, pour la première fois, il avait craché un peu de sang. Aussi réticent à cette idée qu’il pouvait l’être, Martin savait que le temps où il allait devoir quitter Hugues pour poursuivre sans lui approchait à grands pas. Mais il ne pouvait pas abandonner son ami, malade et impuissant, dans les premiers contreforts de ces montagnes, où il mourrait de froid. Il devait lui trouver un abri, un endroit où il pourrait le laisser avant de continuer sa route.
La veille, ils avaient aperçu une petite ville, de l’autre côté de la montagne. La bourgade était toute proche d’une carrière qu’ils avaient longée. Ils y avaient aperçu au loin de minuscules silhouettes trimant au milieu de nuages de poussière et d’énormes plaques de marbre. Il rencontrerait peut-être là-bas quelqu’un à qui confier le vieux marin.
Quand, au petit jour, ce dernier sortit de son sommeil troublé, Martin lui fit part de ses pensées. Le capitaine secoua la tête.
— Non ! s’insurgea-t-il. Tu dois continuer vers la France. Je te suivrai comme je pourrai. On ne peut pas s’appuyer sur des étrangers.
C’était vrai. En affaires, il était impossible de faire confiance aux habitants de ce pays. En outre, ici, dans le Nord, des bandes de voleurs et de trafiquants d’esclaves ajoutaient à la triste réputation de la région.
Ignorant les protestations de son compagnon, Martin dévala les rochers qui bordaient la cascade. Pendant la nuit, la neige était tombée, enveloppant la montagne dans un linceul spectral. En progressant dans une crevasse, Martin fit une pause pour reprendre sa respiration. Il remarqua soudain que l’un des rochers présentait des fissures évoquant une croix pattée, proche de celle dont les Templiers avaient fait leur symbole. Il contempla un moment l’étrange craquelure et y vit un bon présage. Après tout, Hugues allait peut-être trouver une fin paisible dans cette vallée tranquille.
Une fois en ville, Martin se retrouva bientôt à la porte du médecin local, un homme robuste dont les yeux pleuraient dans le froid mordant. Le chevalier lui raconta l’histoire qu’il avait concoctée pendant sa descente vers le bourg : son compagnon et lui étaient des voyageurs en route pour la Terre sainte.
— Mon ami est malade et a besoin de votre aide, l’implora-t-il.
L’homme le regarda avec méfiance. Martin savait qu’il avait l’air d’un vagabond sans le sou.
— Vous pouvez payer ? demanda le médecin d’un ton bourru.
— Nous avons peu d’argent. Mais cela devrait suffire pour payer la nourriture et un toit pour quelques jours.
— Très bien.
Les yeux de l’homme s’adoucirent.
— Vous donnez vous-même l’impression d’être sur le point de vous effondrer. Venez manger quelque chose. Et dites-moi où vous avez laissé votre ami. Je vais trouver des hommes pour vous aider à lui faire descendre la montagne.
Réconforté par ce revirement de son hôte, Martin pénétra dans une pièce au plafond bas. Il accepta volontiers un peu de pain et de fromage. Il était près de s’écrouler ; le boire et le manger étaient un remontant bienvenu pour son corps meurtri. Entre deux bouchées avides, il indiqua la crête où se trouvait Hugues, et l’homme trapu s’en alla.
Tandis qu’il vidait son assiette, Martin sentit un malaise monter en lui. Comme émergeant d’un brouillard, il s’avança à pas feutrés vers la fenêtre et regarda dehors sans se faire voir. Un peu plus loin dans la rue boueuse, le praticien parlait avec deux hommes. De la main, il faisait des gestes vers sa maison. Le templier s’écarta de la fenêtre. Quand il regarda de nouveau, le médecin avait disparu, mais les deux autres venaient vers lui.
Il sentit ses muscles se raidir. Quantité de raisons, il le savait, pouvaient expliquer ce manège, mais il craignait le pire. Alors il risqua un nouveau coup d’oeil et vit l’un d’eux tirer une dague de son
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