Le dernier vol du faucon
comme on disait ici, sa seconde épouse. C'était la créature la plus ensorcelante sur laquelle il ait jamais posé les yeux. Non seulement elle aimait profondément Phaulkon mais elle savait l'entourer de soins si tendres qu'il n'avait plus jamais songé à chercher ailleurs d'autres maîtresses.
Et pourtant, existait-il dans le monde une déesse plus belle ? se demandait souvent Ivatt. Il continuerait encore à chercher avant de se résigner à un choix plus médiocre.
Le serviteur prosterné à la porte toussota discrètement. Ah oui... la mem avait demandé audience.
« Fais-la entrer, Tawee.
- Qu'il en soit fait selon vos ordres, Puissant Seigneur. »
Tel un lézard glissant sur le sol, Tawee rampa à reculons hors de la pièce. Lorsque Thomas leva les yeux un peu plus tard, ce fut pour découvrir sur le seuil une jolie femme qui lui souriait avec grâce. Contrairement à ce qu'il croyait, elle n'avait rien d'une géante et portait des vêtements d'une grande élégance. Elle avait des traits fins, un nez droit, de hautes pommettes, des lèvres fraîches et pulpeuses et de grands yeux d'un bleu intense qui semblaient dévorer tout ce qu'ils voyaient. Une légère touche de rose sur les joues rehaussait son teint clair et délicat qu 'aucune ride ne venait déparer. Ivatt lui donnait moins de trente ans. Sa seule imperfection - si, du moins, on pouvait la qualifier ainsi - était des dents légèrement proéminentes. Mais, à bien y regarder, ce détail ajoutait un charme supplémentaire à son sourire. Ses vêtements occidentaux dissimulaient même ses pieds et paraissaient totalement déplacés sous ce climat. Ils éveillèrent pourtant chez Ivatt des souvenirs de jeunesse qu'il aurait préféré ignorer. Un monde depuis longtemps oublié resurgissait pour lui rappeler ses origines.
Il se leva pour la saluer, enregistrant vaguement derrière elle la silhouette d'un grand garçon. Tout en la regardant plus en détail, il se morigéna. Comment
avait-il pu s'imaginer que toutes les mem ressemblaient à la femme de cet agent hollandais? Il s'empressa de lui offrir une chaise et regagna sa place derrière son bureau - seule concession, avec les deux sièges, au mode de vie occidental dans cette vaste pièce décorée de paravents de laque, de tentures birmanes, de cabinets importés d'Avuthia ou encore de porcelaines de Chine. Malgré les nombreuses fenêtres maintenues ouvertes à l'aide de tiges de bambou, il y régnait une chaleur étouffante. Des esclaves accroupis tentaient de brasser un peu d'air en agitant leurs grands éventails de rotin.
Ivatt passa un doigt sous le col mandarin de sa tunique blanche et contempla ses deux visiteurs.
« Mon nom est Thomas Ivatt, commença-t-il, et je suis le gouverneur de cette province. A votre service, madame. Que me vaut le plaisir de votre visite?»
Elle lui adressa un sourire ensorceleur tandis que, du bout des doigts, elle pianotait nerveusement sur son genou. Il se dégageait d'elle une agréable impression d'équilibre et de modestie.
«C'est très aimable à vous de nous recevoir, Excellence. Nous venons juste d'arriver par le Star of Imlia. » Son sourire s'élargit. « Il semble d'ailleurs que nous ayons suscité une vive curiosité. Plus d'une centaine de personnes au moins ont insisté pour nous accompagner jusqu'à votre demeure. »
Ivatt sourit à son tour. «Ce n'est pas tous les jours que Mergui peut se flatter d'accueillir une dame venue d'Europe, Mrs... euh?
- Tucker, Excellence, Nell Tucker. Mais mes amis m'appellent Nellie. Et voici mon fils, Mark.»
Les yeux d'Ivatt se posèrent sur le garçon et, pour la première fois, il l'étudia avec attention. Le jeune homme, mal à l'aise, s'agita sous le poids de ce regard tandis qu'un silence embarrassé tombait sur eux. Ivatt glissa un bref coup d'œil sur Mrs. Tucker puis se concentra de nouveau sur le garçon.
«Ainsi, vous êtes Mark Tucker? finit-il par dire.
- Oui, Excellence.
- Serait-il indiscret de vous demander votre âge ? »
Les yeux bruns de Mark lancèrent un éclair tandis qu'il passait une main dans son abondante chevelure sombre.
« Seize ans, Excellence. »
L'adolescent semblait nettement plus âgé, nota Ivatt. Sans doute à cause de sa stature et de ses larges épaules.
Nellie intervint vivement, en agitant à nouveau ses doigts.
«Je dois avouer, Excellence, que, pour moi aussi, c'est une véritable surprise de trouver ici un gouverneur anglais. Je m'imaginais, en
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