Le dernier vol du faucon
irrité.
«Je suis la seule personne qui puisse vous accorder cette autorisation, madame. Et je vous l'ai déjà refusée.»
Nellie sentit Mark se raidir à côté d'elle. Inquiète, elle lui jeta un bref regard, craignant qu'il ne perde son calme. Peut-être serait-il préférable de le prier de quitter la pièce, pensa-t-elle. Il pouvait, parfois, se montrer si protecteur à son égard. Mais, elle le savait, il n'était pas dans la nature du garçon de se soumettre aussi facilement.
Elle essaya tout de même.
«Mark, je désire m'entretenir quelques instants en privé avec le gouverneur. Sois gentil d'aller m'at-tendre dehors. »
Son fils prit une expression méfiante et, désolée, elle baissa les yeux. Elle ne remarqua donc pas le regard insolent qu'il lança à Ivatt en se levant.
Le gouverneur prononça quelques mots en siamois à l'un des serviteurs pour qu'il escorte le jeune homme hors de la pièce. Puis, lorsqu'ils furent seuls, il reporta son attention sur Nellie et lui adressa un mince sourire. « Bien. Je suppose, à présent, que vous allez enfin me dire la vérité, madame. »
Elle le défia du regard. «Excellence, j'ai voyagé pendant sept mois pour parvenir jusqu'ici. J'ai dû supporter des tempêtes, des crampes d'estomac et un violent mal de mer. Sans oublier les chaleurs torrides. J'ai aussi vu des hommes mourir du scorbut dans de terribles souffrances. Voilà pourquoi je n 'ai nulle intention de m'en retourner sans avoir réussi à retrouver mon frère. »
Ivatt la contempla quelques minutes en silence.
«Comment s'appelle votre frère?» demanda-t-il brusquement.
« Hewertson. Samuel Hewertson. Il commerce pour son propre compte.
- Ma foi, s'il était passé par ici, Mrs. Tucker, je l'aurais su. Pourtant, je n'ai jamais entendu parler de lui. Vous feriez mieux de me parler franchement. Comme vous le dites, il serait vraiment regrettable d'avoir fait une si longue route pour repartir bredouille. »
Nellie se retint de se lever pour aller le secouer de toutes ses forces. Cet homme s'imaginait-il qu'elle allait se laisser détourner de ses plans après tout ce qu'elle venait de traverser? Elle s'était battue bec et ongles pour obtenir un passage sur un bateau qu'on s'obstinait à lui refuser sous prétexte qu'elle ne possédait pas d'autorisation délivrée par la Compagnie des Indes orientales, qu'elle n'était pas l'épouse d'un agent de la compagnie ni même nonne ou infirmière. On ne s'était pas non plus privé de lui objecter que les femmes ne voyageaient jamais seules en Asie, un monde écrasé de chaleur, infesté de moustiques, où les seuls Européens qu'on y rencontrait étaient des aventuriers, des flibustiers et des pirates...
Quant à ce pays du Siam... Ne lui avait-on pas répété inlassablement que ses habitants adoraient des
éléphants blancs et que le roi tenait enfermées trois mille concubines dans son palais?
Elle fixa Ivatt durement. Cet administrateur condescendant allait-il bientôt comprendre tout ce qu'elle avait enduré? Combien de fois avait-elle dû harceler, menacer, enjôler ou supplier... quand il ne lui avait pas fallu se résigner à jouer le jeu de la séduction. Elle sentit le rouge lui monter au visage. Heureusement, Ivatt ne pouvait deviner le but réel de son voyage. Tout ce qu'elle avait à faire, c'était le persuader de l'aider en lui racontant cette histoire d'héritage inventée de toutes pièces.
Elle ouvrit la bouche pour parler mais il l'interrompit.
«Je sais qui vous êtes, Mrs. Tucker.»
Nellie se sentit défaillir mais elle réussit à se reprendre. «Vous devez me confondre avec une autre personne, Excellence. Car je peux vous garantir que nous ne nous sommes jamais rencontrés. » Elle se mit à rire. «A moins que ce soit dans une autre vie. Les bouddhistes ne croient-ils pas à la réincarnation ?
- Il n'empêche. La ressemblance est vraiment troublante, Mrs. Tucker. »
Elle prit un ton plus doux. «Je suppose que vous parlez d'une personne pour laquelle vous avez éprouvé... un penchant.
- Je ne parle pas de vous, Mrs. Tucker, mais de votre fils.
- De mon fils ?
- Mrs. Tucker, il ne sert à rien de mentir. La ressemblance est trop frappante pour n'être qu'une coïncidence. »
Nellie baissa la tête, saisie d'un vertige. Jamais elle n'aurait cru que les événements prendraient une pareille tournure.
«Je... je n'étais pas sûre. Simplement je pensais qu'il pourrait subsister un doute. Il y a si longtemps,
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