Le dernier vol du faucon
effet, avoir débarqué dans un territoire inexploré, ainsi que l'aurait dit mon grand-père, lequel avait parcouru bien des océans. Et je ne cessais de me demander comment nous réussirions à nous faire comprendre par la population locale. »
Ivatt l'examina une nouvelle fois. Son expression changea. L'aimable mondanité qu'il avait affichée au début de cet entretien céda la place à un air réservé, presque soupçonneux.
«Croyez bien que je représente ici une exception, Mrs. Tucker. Qui sait? Peut-être m'a-t-on nommé ici en prévision de votre visite?»
Nellie eut un petit rire plein de fraîcheur. «Voilà une suggestion bien flatteuse, Excellence, et il est vrai que j'aurai certainement besoin de votre aide. Personne, ici, ne semble connaître ma langue et le capitaine du bateau m'a dit que j'étais la seule Anglaise à laquelle il ait jamais fait traverser le golfe du Bengale. »
Elle observa une courte pause. « Naturellement, je suis extrêmement curieuse d'apprendre comment un Anglais tel que vous a pu être porté à occuper une position aussi élevée dans ce pays. Toutefois, afin de ne pas abuser de votre gentillesse, il est préférable de revenir à des sujets plus concrets. »
Elle lui décocha un autre sourire aussi radieux que les précédents et conclut : « En fait, mon fils et moi désirons gagner Ayuthia aussi rapidement que possible. »
Les yeux d'Ivatt se rétrécirent. Il la contempla quelques minutes en silence.
Nouveau sourire de l'Anglaise. «Au cas où ma prononciation ne serait pas tout à fait correcte, il s'agit de votre capitale.
- Votre prononciation est parfaite, Mrs. Tucker. Mais je crains de me voir obligé de refuser cette requête. »
La jeune femme changea aussitôt de visage. Ivatt sentit qu'elle se tenait brusquement sur ses gardes. «Vraiment? Et pourquoi donc?
- Les déplacements à l'intérieur du pays sont soumis à de sévères restrictions. »
Nellie s'efforça de contenir son impatience grandissante. Des restrictions? Une femme comme elle était, de toute façon, exposée à toutes sortes de contraintes. Personne ne voulait se charger de la protéger et, dès le départ, les autorités anglaises avaient tout entrepris pour la dissuader. Très tôt, elle avait dû apprendre à mentir et à dissimuler pour parvenir à ses fins.
«Je suis certaine, Excellence, que vous serez disposé à me faciliter les choses lorsque vous connaîtrez les raisons de mon voyage.
- J'en doute, madame. Mais vous pouvez toujours me les exposer. »
Elle parla d'une voix plus sèche. «Voyez-vous, Excellence, il se trouve que je viens juste d'enterrer mon père, un honorable capitaine de vaisseau. J'ai donc accompli cette longue traversée pour rejoindre mon frère et lui apprendre la triste nouvelle. Nous héritons en effet conjointement et la succession nécessite nos deux présences. La dernière fois que j'ai entendu parler de mon frère, il était à Ayuthia où il avait fait étape en se rendant en Chine. A Londres, cependant, on m'a informée qu'il était fort périlleux d'emprunter la route terrestre - l'ancienne route de Marco Polo -pour se rendre dans ce pays. Voilà pourquoi j'ai opté pour la voie maritime. »
Cette partie du récit, au moins, était véridique, songea Nellie. Mais ce qu'elle omettait de préciser, c'était
que le voyage par mer n'avait pas été, lui non plus, exempt de dangers.
«J'ai bien peur que le voyage pour Ayuthia ne soit lui aussi parsemé d'embûches, Mrs. Tucker. Douze jours d'une épuisante progression à travers la jungle, les marais, les rapides, au milieu des crocodiles et des tigres, sans oublier les sangsues et les moustiques, assez nombreux pour sucer tout votre sang. Même sans les restrictions légales, ma conscience m'interdit de vous exposer à d'aussi terribles dangers. »
La voix de Nellie se fit encore plus tranchante. « Soyez persuadé, Excellence, que je suis bien déterminée à franchir tous ces obstacles. Tout ce que je vous demande, c'est de me dire ce que je dois faire pour obtenir les autorisations nécessaires. »
Son sourire contrastait étrangement avec la détermination de sa requête, une détermination forgée dans l'amertume et la frustration accumulées au cours de ce périple. Et par la crainte que la vie continue de plus belle à la malmener comme elle l'avait déjà fait si volontiers par le passé. Dissimulés dans les plis de sa longue jupe, ses doigts continuaient leur martèlement
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