Le dernier vol du faucon
de nos gardes afin que la barque du Seigneur Sorasak accoste ici sans méfiance quand elle reviendra. De loin, on ne s'apercevra pas du changement. »
Comme Ivatt ne semblait soulever aucune objection, le colonel lança un ordre bref et dix hommes s'avancèrent. Aussitôt, les Indiens braquèrent leurs armes.
«Tout va bien, leur dit Ivatt en tamoul. Ils viennent seulement remplacer ceux que nous avons tués. »
Les gardes prirent tranquillement position sur le quai et les Indiens se détendirent. Puis le groupe que le colonel avait chargé de fouiller la maison revint faire son rapport. Voyant les Indiens s'agiter de nouveau, le colonel expliqua vivement:
«J'ai envoyé ces hommes dans la maison mais ils n'ont pas trouvé trace du seigneur Sorasak. Il n'est nulle part. Cependant, la présence de plusieurs cadavres indique qu'il est passé par là. Excellence, je vais maintenant me retirer. Vous êtes libre, bien entendu, d'aller où bon vous semble mais vous m'obligeriez en me disant où je pourrai vous joindre afin que nous puissions échanger nos informations. Vous comprendrez, j'en suis certain, que notre intérêt commun est de coopérer.
- Je compte rester pour l'instant dans cette maison, Colonel», répondit Ivatt.
Virawan s'inclina et s'éloigna avec sa troupe.
Le capitaine était de plus en plus inquiet. Il avait ordre de ramener le farang en vie mais, peu après avoir quitté Bahn Mae Sing, un transporteur de riz qui l'avait croisé lui avait appris que deux autres barrages de contrôle avaient été dressés sur le fleuve par des hommes en armes.
Il décida d'accoster au premier village et d'envoyer un de ses hommes à terre pour s'y procurer une nouvelle robe de moine, un rasoir, un crayon de maquillage et diverses pommades. Dans l'état où il se trouvait, le farang éveillerait sûrement des soupçons. Le haut de sa robe safran avait été arraché, sa barbe avait repoussé et son visage était meurtri.
Anek rasa la tête et la barbe de son maître, dissimula les cernes autour de ses yeux et soigna son visage. En peu de temps, il fut ainsi transformé en un moine présentable, capable de jouer le dernier acte du rôle qu'il s'était inventé. Anek, quant à lui, gardait un œil attentif sur la précieuse bourse de son maître dissimulée dans l'ourlet de sa robe.
Au premier barrage et malgré les protestations du capitaine qui tenta vainement d'invoquer le rang élevé de son maître Sorasak, un officier particulièrement pointilleux exigea d'interroger lui-même Phaulkon. Grâce à la connaissance que ce dernier avait du dharma et de la vie dans les temples, il réussit à le convaincre qu'il était bien le fils d'un moine siamois débauché qui avait fauté avec la fille d'un missionnaire farang dans le nord.
Au second barrage, l'histoire du moine eurasien fut débitée avec plus d'assurance et l'arrêt dura moins longtemps. Mais le troisième poste, à l'entrée de Louvo, était celui où la barque avait été retenue à l'aller pour la nuit. Si le même officier était de service, il pourrait avoir des soupçons. Le capitaine jugea donc préfé-rable de ne pas s'y arrêter. Après tout, la barque de son maître était la plus rapide de tout le pays et, s'ils accéléraient l'allure, aucun bateau ne pourrait la rattraper. Une fois dans les eaux encombrées de la ville, elle se perdrait parmi les autres embarcations.
Il dit à Phaulkon d'aller à l'arrière et de se dissimuler de son mieux puis, en vue du barrage, ralentit le train. Trois embarcations attendaient devant lui le passage et l'attente s'annonçait longue car la fouille des gardes était minutieuse. Ce fut enfin au tour de la barque de Sorasak de se présenter. Elle avança doucement jusqu'au quai et, juste au moment où le soldat de garde allait monter à bord, le capitaine abaissa le bras, et le bateau s'élança si brusquement en avant que le soldat perdit l'équilibre et tomba à l'eau. Un second clapotis se fit entendre presque aussitôt, plus discret que le premier, mais les quarante rameurs, trop occupés à accélérer la cadence, ne remarquèrent rien. Seul Anek constata que son maître avait disparu. Les cris des poursuivants se firent de plus en plus lointains au fur et à mesure que l'équipage de Sorasak augmentait la distance qui les séparait.
Entraîné depuis sa jeunesse en Grèce à nager sous l'eau sur de longs parcours, Phaulkon resta plusieurs minutes invisible à une centaine de pieds du barrage,
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