Le dernier vol du faucon
peur et par la douleur. Sunida voulut intervenir à nouveau mais, d'un geste, il ordonna qu'on lui remette son bâillon.
Quand enfin, il se sentit satisfait, Sorasak se retira de Maria et, au même instant, elle poussa un cri perçant. Les eaux mêlées de sang ruisselaient entre ses jambes.
«Aidez-moi! Mon enfant... mon enfant!»
Elle poussa un long gémissement.
Thomas Ivatt était préoccupé. Qu'était devenu le bateau de Sorasak sur lequel se trouvait Phaulkon ? Il n'était pas dupe des déclarations du colonel Virawan, mais celui-ci avait au moins tenu parole sur un point : il n'était pas revenu le déranger. Et ses hommes étaient toujours sur le quai, attendant eux aussi l'arrivée de la barque. Ivatt décida d'aller voir si Nellie et Mark avaient besoin de quelque chose et se fit accompagner du géant tamoul, un homme d'une force exceptionnelle et, de plus, d'une loyauté à toute épreuve. Comme ils s'avançaient vers la maison, leurs silhouettes disparates évoquaient plutôt David et Goliath.
Ils pénétrèrent dans le hall et se dirigèrent aussitôt vers la salle à manger. Le tapis avait été dérangé. Qui pouvait être venu ? Phaulkon était-il de retour à son insu? Mais alors, comment était-il entré dans la maison sans se faire voir ?
De plus en plus inquiet, Ivatt fit signe au Tamoul de ne pas faire de bruit et tenta de soulever la trappe. Elle résista. Un frisson le traversa, car il avait recommandé à ses hommes de ne pas mettre le verrou.
Le Tamoul s'avança et introduisit son kriss dans la fente, enlevant un morceau de bois par où il pouvait passer un doigt. À ce moment, un cri perçant retentit de l'autre côté. Le visage du géant se contracta de fureur. Il saisit le panneau et le secoua violemment jusqu'à ce qu'il lui reste entre les mains, le verrou toujours en place.
Deux gardes de Sorasak accoururent mais, aussitôt, des mains géantes les prirent par le cou pour les tirer au-dehors en frappant leurs têtes l'une contre l'autre. Le Tamoul leur tordit ensuite le cou. Une seconde plus tard, il sautait dans le trou les pieds en avant, immédiatement suivi par Ivatt. Un homme nu se retourna vers eux avec fureur. D'un coup d'œil, le Tamoul vit une femme étendue sur le lit, nue également et gémissant. Il se rua sur Sorasak, enserrant son cou puissant d'une poigne de fer. Le Siamois se débattit mais, pour la première fois de sa vie, il se trouvait confronté à plus fort que lui. Lentement, inexorablement, la prise du Tamoul se refermait autour de son cou jusqu'à ce que les veines de son front semblent sur le point d'éclater.
Ivatt s'était précipité pour détacher Mark, Nellie et Sunida. Le garçon se jeta aussitôt sur Sorasak, lui martelant le visage de ses poings, tandis que le Tamoul le maintenait, jusqu'à le rendre méconnaissable.
Entre-temps, Nellie et Sunida s'affairaient autour de Maria et Ivatt plaça un paravent devant le lit pour l'isoler de la vue des autres. Elle saignait beaucoup et sanglotait hystériquement. «Je vous en prie... sauvez mon enfant ! »
Sunida vit pointer la tête du bébé et elle la tira délicatement à elle en recommandant à Maria de pousser. Rassemblant ses dernières forces, elle obéit.
Penchée sur elle, Nellie tentait de la réconforter. Dans un grand cri, Maria expulsa le bébé et Nellie tourna la tête pour le regarder. L'expression désolée de Sunida lui confirma ce qu'elle avait cru voir. L'enfant était mort-né. Les deux femmes échangèrent un regard de pitié. Prenant l'enfant dans ses bras, Sunida s'efforça en vain d'éveiller en lui un souffle de vie.
Ivatt, appelé par Nellie, s était approché et regardait les deux femmes couper le cordon ombilical. Maria gisait sur le lit les yeux fermés, immobile et épuisée par ces terribles épreuves, inconsciente du sort de son enfant. Sunida enveloppa le minuscule corps dans son écharpe, elle allait le déposer à côté de sa mère quand Ivatt intervint.
«Il serait préférable qu'elle ne le voie pas. Je vais aller l'enterrer dehors.»
Sunida hocha la tête, ignorant tout des coutumes farangs.
Pendant l'absence d'Ivatt, les deux femmes s'occupèrent de Maria de leur mieux, épongeant son visage avec un linge humide et lavant son sang. Puis elles prirent ses mains dans les leurs et restèrent longtemps ainsi, leurs doigts enlacés, réalisant que toutes trois avaient donné un enfant à Phaulkon.
Quand Maria ouvrit enfin les yeux, elle vit Sunida penchée
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