Le discours d’un roi
plus hauts représentants de l’aristocratie britannique qui occupaient des positions de choix dans l’abbaye.
Pourtant, il aurait été difficile de nier la contribution de cet homme, dépeint par les journaux comme le « docteur du langage » du roi, ou encore son « spécialiste du langage », aux événements de cette journée historique. Logue jouissait d’un tel statut qu’il venait d’être fait membre de l’ordre royal de Victoria, honneur que seul le souverain pouvait décerner et qui avait fait la une de la presse. Il était, déclara le Daily Express, « l’un des noms les plus intéressants sur la liste des invités d’honneur du couronnement ». À Westminster, Logue arborait fièrement la médaille accrochée à sa poitrine.
Onze ans plus tôt, il avait débarqué d’un bateau en provenance d’Australie. Il avait loué une chambre dans Harley Street, au coeur de l’establishment médical britannique, et était devenu l’une des personnalités les plus éminentes du domaine naissant de l’orthophonie. Et pendant presque tout ce temps, il avait aidé le duc d’York à lutter contre son défaut d’élocution.
Un mois durant, ils s’étaient préparés au grand jour, répétant encore et encore les phrases consacrées par l’usage que le roi devrait prononcer dans l’abbaye. Pendant les années qu’ils avaient passées à travailler ensemble, que ce soit dans le petit cabinet de Logue, à Sandringham, Windsor ou Buckingham, ils avaient mis au point un système. Tout d’abord, Logue étudiait le texte, repérant les mots susceptibles de poser problème au roi, comme ceux commençant par un « k » ou un « g » dur, ou ceux contenant des consonnes doubles, et, chaque fois que c’était possible, il les remplaçait par autre chose. Il notait ensuite dans le texte des points indiquant où reprendre sa respiration, et le roi commençait à s’entraîner, lisant et relisant jusqu’à ce que le résultat convienne – non sans s’énerver en cours de route.
Mais il n’était pas question de jouer avec les mots de la cérémonie du couronnement. L’épreuve suprême était sur le point de débuter.
Les divers princes et princesses, britanniques et étrangers, étaient arrivés à partir de 10 h 15. Puis la mère du roi était entrée alors que résonnait la musique solennelle de la marche officielle du couronnement, suivie par les différents dignitaires de l’État, et par la reine, dont la magnifique traîne était portée par ses six dames de compagnie.
« Une fanfare de cuivre retentit, et bientôt, le cortège du roi s’avance dans un flamboiement d’or et de pourpre, écrivit Logue dans le journal où il coucha l’essentiel de sa vie en Grande-Bretagne. Et à la fin, l’homme que je servais depuis dix ans, de tout mon coeur et de toute mon âme, marche lentement vers nous, l’air plutôt pâle, mais roi jusqu’au bout des ongles. Ma gorge se serre quand je comprends que cet homme que je sers est sur le point d’être fait roi d’Angleterre. »
Alors que Cosma Lang, l’archevêque de Canterbury, disait la messe du couronnement, Logue dut sans doute écouter avec plus d’attention que n’importe qui d’autre dans l’abbaye, même si la rage de dents dont il souffrait ne cessait de détourner son attention. Au début, le roi paraissait nerveux, et le coeur de Logue fit un bond quand il entama son serment, mais dans l’ensemble, il s’en tira fort bien. Quand tout fut terminé, Logue s’enthousiasma : « Le roi a parlé d’une voix magnifique », déclara-t-il à un journaliste.
En fait, compte tenu des pressions dont le roi faisait l’objet, c’était un miracle qu’il se fût exprimé aussi clairement : l’archevêque, brandissant le livre contenant le texte qu’il devait lire, avait par inadvertance masqué du pouce les mots du serment. Et ce ne fut pas le seul incident : alors que le grand chambellan aidait le roi à passer ses vêtements de cérémonie, ses mains tremblaient tellement qu’il manqua mettre le pommeau de l’épée sous le menton du souverain au lieu d’attacher normalement l’arme à la ceinture. Puis, alors que le roi se levait de la chaise du couronnement, un évêque marcha sur sa traîne et faillit tomber, jusqu’à ce que le monarque lui ordonne assez sèchement de faire attention.
Les petits ennuis de ce genre sont indissociables d’un couronnement britannique : l’un des principaux soucis du roi
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