Le discours d’un roi
était que Lang ne lui pose pas la couronne à l’envers sur la tête, ce qui était déjà arrivé par le passé, aussi avait-il veillé à ce qu’un fil de coton rouge soit discrètement inséré sous l’un des grands joyaux ornant le devant de la coiffe. Mais quelqu’un avait fait du zèle et l’avait entre-temps retiré. Le roi ne fut donc jamais sûr qu’elle était dans le bon sens. Les couronnements de monarques précédents avaient parfois frisé la farce : en 1761, celui de George III avait été retardé pendant trois heures, l’épée royale ayant disparu, tandis que celui de son fils et successeur, George IV, s’était déroulé dans un climat tendu, le roi s’étant séparé de son épouse haïe, Caroline de Brunswick, qui dut être empêchée manu militari de pénétrer dans l’abbaye.
La congrégation ne sut rien de ces incidents mineurs, pas plus que les milliers de gens qui se massaient toujours le long des rues de Londres malgré le temps de moins en moins clément. Quand la cérémonie fut terminée, le roi et la reine remontèrent dans le carrosse d’or et revinrent au palais de Buckingham par le chemin le plus long. Il pleuvait désormais à verse, ce qui ne semblait pas décourager la foule, qui les acclama avec enthousiasme. Logue et Myrtle se détendaient, dégustant les sandwichs et le chocolat qu’ils avaient emportés quand, à 15 h 30, une voix annonça, dans les haut-parleurs : « Les personnes du bloc J peuvent se rendre aux voitures. » Ils sortirent donc, et trente minutes plus tard, leur voiture se présentait. Ils s’affalèrent sur les banquettes, Logue se prenant presque les pieds dans cette maudite épée. Ils retraversèrent la Tamise par le pont de Westminster, longeant les tribunes maintenant désertes, et furent chez eux à 16 h 30. Sa rage de dents s’étant doublée d’un mal de tête, Logue se coucha et fit une sieste.
Aussi formidable qu’ait pu être le couronnement, il n’était qu’un des événements auxquels le roi dut faire face ce jour-là. À 20 heures, une épreuve encore plus terrible l’attendait : un discours en direct à la radio, destiné à la population du Royaume-Uni et de son immense Empire – et là encore, Logue devait se tenir à ses côtés. Le discours ne devait durer que quelques minutes, mais l’exercice n’en était pas moins pénible pour autant. Avec le temps, le monarque en était venu à nourrir une terreur particulière vis-à-vis du micro, si bien que pour lui il était encore plus difficile de s’exprimer à la radio que devant un public. Et sir John Reith, directeur général de la British Broadcasting Corporation, créée dix ans plus tôt par charte royale, ne lui facilitait guère les choses : il insistait pour que le roi parlât en direct.
Pendant des semaines avant la transmission, Logue avait travaillé sur le texte avec le roi. Après des répétitions plutôt mitigées, les deux hommes se sentaient assez confiants, mais ils ne voulaient pas prendre de risque. Les jours précédents, Robert Wood, un des ingénieurs du son les plus chevronnés de la BBC, et passé maître dans l’art embryonnaire des émissions en extérieur, avait enregistré plusieurs de leurs répétitions sur des disques pour phonographe, dont un qui rassemblait justement tous les meilleurs passages. Malgré tout, Logue, quand une voiture le déposa au palais à 19 heures, était rongé par l’inquiétude.
Une fois arrivé, il prit un whisky soda en compagnie d’Alexander Hardinge, secrétaire particulier du roi, et de Reith. Tandis que les trois hommes buvaient debout, on leur fit savoir que le roi était prêt. L’Australien trouva le souverain en forme, en dépit d’une journée qui avait déjà été extrêmement chargée sur le plan émotionnel. Ils repassèrent en revue le discours devant le micro, puis revinrent dans les appartements du roi, où ils furent rejoints par la reine, qui avait l’air épuisée mais heureuse.
Toutefois, Logue sentait bien que le souverain était nerveux. Pour l’empêcher de penser à ce qui l’attendait, il bavarda avec lui sur les événements du jour jusqu’au moment où, à 20 heures passées, ils entendirent résonner dans les haut-parleurs les premières notes de l’hymne national.
« Bonne chance, Bertie », fit la reine alors que son mari se dirigeait vers le micro.
« C’est le coeur content que je m’adresse à vous ce soir », attaqua le roi, ses mots
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