Le discours d’un roi

dont il se souvenait depuis l’enfance. Il était très fier de sa capacité à débiter des tartines de Hilaire Belloc pour divertir ses invités. Mais c’était ma soeur aînée Sarah qui était sa plus grande satisfaction : elle était même carrément émue aux larmes par ses déclamations.
    À l’époque, je n’ai pas le souvenir d’avoir été particulièrement impressionné par le talent de mon père. Mais en y repensant aujourd’hui, je peux mieux comprendre tant sa persévérance que la profonde exaspération que dut susciter en lui ma répugnance à partager cet amour de la poésie que son père lui avait insufflé.
    Le tournage a pris fin en janvier 2010, et ce fut pour moi le départ d’une exploration plus personnelle. Canning et Hooper n’avaient pas cherché à faire un documentaire, mais plutôt une biographie romancée qui, quoique fidèle à l’esprit de mon grand-père, se concentre sur une période limitée : de la première rencontre entre le futur roi et lui en 1926 jusqu’au début de la guerre en 1939.
    Inspiré par le film, j’ai alors souhaité raconter toute l’histoire de la vie de mon grand-père, de son enfance à Adélaïde, en Australie du Sud, dans les années 1880, jusqu’à sa mort. J’ai donc entrepris des recherches exhaustives et en profondeur sur sa personnalité, sur ce qu’il avait accompli dans sa vie. Sous bien des aspects, ce fut une aventure frustrante car, en dépit du statut professionnel de Lionel, on savait fort peu de choses des méthodes qu’il avait utilisées avec le roi. Il avait certes écrit quelques articles pour la presse sur le traitement du bégaiement et d’autres problèmes d’élocution, mais jamais il n’expliqua ses méthodes de façon officielle, pas plus qu’il n’avait d’étudiant ou d’apprenti avec qui partager les secrets de son art. Et il ne rédigea rien en détail sur son patient le plus célèbre – sans doute à cause de cette discrétion dont il entoura toujours sa relation avec le roi.
    Puis, en juillet 2010, alors que les éditeurs me réclamaient le manuscrit, ma persévérance finit par porter ses fruits. Ayant eu vent de mes recherches, ma cousine Alex Marshall me contacta pour me dire qu’elle avait retrouvé des boîtes contenant des documents liés à mon grand-père. Elle ne pensait pas qu’ils me seraient utiles, mais je m’invitai quand même chez elle, à Rutland, pour y jeter un oeil. En arrivant, je découvris plusieurs volumes disposés sur une table dans sa salle à manger : il y avait là deux cartons remplis de lettres échangées entre le roi et Lionel, datées de 1926 à 1952, et deux autres pleins de manuscrits et de coupures de presse, que Lionel avait soigneusement collées dans deux grands albums, un vert et l’autre bleu.
    À ma grande joie, Alex détenait aussi les pièces manquantes des archives, ainsi que trois volumes de lettres et une partie du journal de ma grand-mère, Myrtle, qu’elle avait tenu quand mon grand-père et elle s’étaient lancés dans un tour du monde en 1910, et pendant les tout premiers mois de la Seconde Guerre mondiale. Écrit dans un style plus personnel que celui de Lionel, il en révélait bien plus sur les détails de leur vie commune. Ces documents, qui représentaient des centaines de pages, constituaient un formidable trésor que je passai des jours à éplucher et déchiffrer. Mon seul regret, c’était que la lettre que j’avais tant rêvé de dénicher ne s’y trouvait pas.
    C’est tout cela qui est à la base de ce livre, que Peter Conradi, écrivain et journaliste au Sunday Times, m’a aidé à rédiger. J’espère qu’en le lisant vous finirez comme moi par être fasciné par mon grand-père et la relation exceptionnelle, intime, qu’il noua avec le roi George VI.
    J’ai tenté d’étudier minutieusement la vie de mon grand-père, mais il reste des éléments inconnus à son sujet. Si vous êtes de la famille de Lionel Logue, ou étiez un de ses patients, un de ses collègues, ou si vous détenez quelque information sur son travail et lui, je serais ravi que vous m’en fassiez part. Vous pouvez me contacter à l’adresse suivante : [email protected]
    Mark Logue,
Londres, août 2010.

Chapitre un

    Dieu sauve le roi
    Albert Frederick Arthur George, souverain du Royaume-Uni et des dominions britanniques, dernier empereur des Indes, se réveilla en sursaut. Il était à peine 3 heures du matin. La chambre qu’il occupait à