Le discours d’un roi
la foule en souriant, les projecteurs lui dessinaient un bandeau de flammes étincelantes autour de la tête. Le roi déclara :
Aujourd’hui, nous remercions le Tout-Puissant pour une grande délivrance. Alors que je m’adresse à vous depuis la plus vieille capitale de notre Empire, ville persécutée mais jamais un instant effrayée ou déconcertée, depuis Londres je vous demande de vous joindre à moi dans cet acte de gratitude.
L’Allemagne, l’ennemi qui a conduit toute l’Europe à la guerre, est enfin vaincue. En Extrême-Orient, nous avons encore à affronter le Japon, un adversaire cruel et déterminé. Contre lui, nous allons diriger toute notre volonté ainsi que toutes nos ressources. En cette heure toutefois, où l’ombre funeste de la guerre s’éloigne de nos maisons et de nos foyers sur ces îles, nous pouvons enfin prendre le temps de rendre grâce avant de penser à la tâche qui nous attend dans le monde entier et que nous assigne la paix en Europe.
Le roi poursuivit en rendant hommage à tous ceux qui – vivants et morts – avaient contribué à la victoire et rappela comment « les peuples d’Europe, isolés et réduits en esclavage », avaient tourné leurs regards vers l’Angleterre aux heures les plus sombres de la guerre. Il parla également de l’avenir, appelant le peuple anglais à « ne rien faire qui soit indigne de ceux qui sont morts pour nous et à faire de ce monde ce qu’ils auraient souhaité pour leurs enfants et les nôtres. Tel est le devoir que l’honneur nous commande à présent. À l’heure du danger, nous avons humblement remis notre cause entre les mains du Seigneur et Il a été notre force et notre protecteur. Prions pour Le remercier de Sa pitié et, en cette heure de victoire, remettons-nous-en, nous et notre nouvel impératif, à cette même main ferme ».
Le roi était épuisé et cela se voyait ; il hésita plus que d’habitude, mais cela n’avait pas d’importance. « Nous avons tous hurlé à nous casser la voix, se souvint l’humoriste Noël Coward, qui se trouvait dans la foule. Je pense que c’est le plus grand jour de notre histoire. »
Alors que les festivités continuaient, les deux princesses demandèrent à rejoindre la foule. Le roi donna son accord : « Pauvres chéries, elles ne se sont encore jamais amusées », écrivit-il dans son journal. C’est ainsi qu’à 22 h 30, accompagnées d’une discrète escorte d’officiers de la Garde, les deux princesses se glissèrent hors du palais incognito. Personne ne sembla reconnaître les deux jeunes filles qui se mêlèrent à la file de danse sortant du Ritz.
À 23 h 30, la reine fit appeler Lionel et Myrtle, et le couple prit congé. Puis, Peter Townsend, écuyer du roi et futur prétendant de la princesse Margaret, les conduisit à travers les jardins jusqu’aux écuries royales, où une voiture les attendait. La foule était nettement moins compacte mais les rues étaient encore pleines de gens célébrant la victoire.
Sur le chemin du retour, les Logue firent un détour pour ramener chez lui un soldat de Kennington Oval, dans le sud de Londres. Puis ils prirent un couple avec une petite fille qui allait en direction de Dog Kennel Hill, non loin de chez eux. Dans la voiture, ils parlèrent des événements de la soirée, du roi et de la reine. Le couple les remercia vivement et Lionel entendit l’enfant leur dire au revoir d’une petite voix endormie.
Bien qu’il eût récemment fêté ses soixante-cinq ans, Logue n’avait nullement l’intention de prendre sa retraite et continuait de recevoir des patients. Le 3 juin 1945, Mieville le remercia pour « ce qu’[il avait] fait pour [Michael] Astor », jeune homme de vingt-neuf ans qui souhaitait se lancer dans la politique et marcher dans les pas de son père, le vicomte Astor, également riche propriétaire du journal The Observer . « Vos efforts ont été couronnés de succès car il a été désigné [candidat] dans sa circonscription, ajoutait Mieville. Il devrait l’emporter car c’est un siège acquis mais je crains qu’il n’apporte qu’une contribution limitée à la Chambre des communes. » Astor fut effectivement élu député du Surrey Est lors des élections législatives le mois suivant. Il ne resta en poste que jusqu’en 1951 et ne laissa pas grande trace dans la vie publique de son pays.
Pour Logue toutefois, le bonheur de la paix retrouvée fut bientôt gâché par une
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