Le discours d’un roi
la guerre à l’Allemagne six ans plus tôt.
« Nous pouvons nous permettre un bref moment de liesse, concluait Churchill. Mais n’oublions pas un instant les efforts et les sacrifices qui restent à venir. Le Japon reste, dans toute sa perfidie et son avidité, invaincu. »
Quelques instants plus tard, le roi, symbole de la résistance nationale autant que Churchill, apparut sur le balcon du palais de Buckingham, salué par les hourras d’une foule euphorique. C’était la première fois qu’il apparaissait en public accompagné non seulement de sa femme mais des deux princesses. À 17 h 30, les portes-fenêtres s’ouvrirent encore et la famille royale fit une nouvelle apparition, cette fois avec Churchill. Ce jour-là, ils se montrèrent à huit reprises sur le balcon. Dans la soirée, il fut convenu que le roi suivrait l’exemple de son Premier ministre et s’adresserait à son tour à la nation.
Le matin du samedi précédent, Logue avait reçu à 11 h 30 un coup de téléphone de Lascelles lui demandant de venir au château de Windsor l’après-midi même. Le jour de la Victoire – « Peace Day V », ainsi qu’on le désignait – approchait. Lascelles n’était toujours pas sûr de la date, tout dépendait de ce qui allait se passer en Norvège. Les forces d’occupation allemandes avaient songé à y former un dernier bastion de résistance, avant de mesurer l’inutilité d’un tel acte. Leur capitulation n’était plus qu’une question de temps. Une voiture vint chercher Logue à Sydenham Hill et il arriva au château de Windsor à 16 heures.
Le roi l’accueillit l’air complètement épuisé. Ensemble, ils parcoururent le texte, qui plut fortement à Logue bien qu’il y apportât quelques changements. Ils se revirent une deuxième fois le lundi à 15 heures au palais de Buckingham, et il fut convenu que Logue reviendrait encore une fois à 20 h 30 le soir même. Logue rentra chez lui se reposer, mais à 18 heures le téléphone sonna. C’était Lascelles. « Pas ce soir. La Norvège n’a pas encore bougé », dit-il. Il était toutefois certain que le discours serait prononcé le lendemain et dit à Logue de se tenir prêt.
Le lendemain matin, Logue reçut un nouveau message du palais. « Le roi souhaiterait vous avoir à dîner ce soir, venez avec Mme Logue », disait le billet auquel on avait mystérieusement ajouté : « Dites-lui de porter une couleur claire. » À 18 h 30, Lionel et Myrtle se mirent en route pour le palais de Buckingham. Les rues étaient presque désertes et en quelques minutes ils arrivèrent dans le centre de Londres. Ils furent arrêtés une première fois au niveau de la gare Victoria, mais Mieville leur avait préparé un permis et ils poursuivirent leur chemin en direction du palais. Alors qu’ils traversaient la cour vers l’entrée du Privy Purse, une immense clameur retentit. Le roi et la reine étaient de nouveau sur le balcon. Lionel et Myrtle se joignirent aux membres de la maison royale qui agitaient frénétiquement leurs mouchoirs.
Lionel se dirigea vers la nouvelle salle d’enregistrement située au rez-de-chaussée en face de la pelouse et répéta le discours avec le roi. Ils apportèrent quelques changements au texte, essentiellement pour des questions de fluidité, puis le roi déclara, l’air ennuyé : « Si je ne dîne pas avant 21 heures, je n’aurai rien à manger après car tout le monde sera parti. » Venant de la part d’un personnage aussi éminent, la remarque plongea Logue dans une profonde hilarité, si bien que le roi se mit lui aussi à rire. Après un moment de réflexion, il lâcha toutefois : « C’est peut-être drôle, mais c’est vrai. »
Après avoir dîné, ils retournèrent dans la salle d’enregistrement à 20 h 35. Wood, de la BBC, les y attendait ; Logue synchronisa sa montre avec lui et le roi répéta une dernière fois. Encore deux minutes. Le temps d’ajouter un dernier changement au texte et la reine, comme à son habitude, vint souhaiter bonne chance à son mari. Alors que les projecteurs s’allumaient, la foule se mit à rugir. Logue était fasciné par cette atmosphère : « En un instant, les ténèbres s’étaient transformées en un spectacle magique, les insignes royaux illuminés par en dessous semblaient flotter dans les airs. » Il fut particulièrement frappé par l’effet des lumières sur la tiare de la reine. Alors que celle-ci faisait signe à
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