Le discours d’un roi
supprimant d’éventuelles difficultés ou formulations problématiques.
Le 3 décembre au soir, le roi devait annoncer le démantèlement de la Home Guard , une force de défense constituée de deux millions de volontaires trop jeunes, trop vieux ou jugés inaptes au service dans l’armée. Ce corps avait été formé en juillet 1940 pour défendre le Royaume-Uni en cas d’invasion nazie, scénario qui paraissait alors imminent. Signe que la victoire semblait définitivement acquise aux Alliés, cette force était à présent dispersée. Logue travailla sur le texte avec le roi et se rendit à Windsor pour assister à l’enregistrement. Il fut impressionné de voir que le roi n’avait trébuché qu’une fois, sur le w de « weapons ».
Un peu plus tard, Logue lui serra la main et, après l’avoir félicité, lui demanda pourquoi cette lettre lui avait posé problème.
« Je l’ai fait exprès, répondit le roi en souriant.
— Exprès ? répéta Logue, incrédule.
— Oui. Si je ne me trompe pas au moins une fois, les gens risquent de ne pas me reconnaître. »
Cette année encore, le roi devait prononcer un discours pour Noël et Logue se rendit à Windsor pour retravailler le texte. Il s’agissait d’un message d’optimisme, exprimant l’espoir d’en avoir fini avec les horreurs de la guerre et de la tyrannie d’ici le Noël suivant. « Le souvenir des premiers jours de la guerre nous rappelle avec certitude que les ténèbres se dissipent de jour en jour. Les lumières que l’Allemagne avait éteintes, une première fois en 1914 puis en 1939, se rallument doucement. Déjà, nous en voyons luire quelques-unes à travers la brume de la guerre qui recouvre encore tant de pays. L’angoisse cède la place à l’espoir, prions pour qu’avant Noël prochain, le dernier chapitre de la libération et de la victoire soit enfin achevé. »
Parmi les papiers de Logue, on découvrit une version annotée de ce discours montrant le travail fait par l’orthophoniste pour supprimer des mots ou des passages pouvant encore poser problème au roi : « calamités » et son difficile c en début de mot fut remplacé par « désastres ». Dans l’ensemble, Logue fut toutefois impressionné par ce discours. « Il faut toujours les retoucher de la même manière mais je crois que nous avons moins réécrit celui-ci que n’importe quel autre », reconnaît-il.
Alors qu’ils étaient assis dans le bureau où brûlait un feu dans la cheminée, le roi déclara subitement : « Logue, je crois qu’il est temps pour moi d’enregistrer mes discours seul et pour vous de passer Noël auprès de votre famille. »
Logue s’était préparé à ce moment, surtout après le discours du démantèlement de la Home Guard . Ils discutèrent longuement avec la reine, qui était du même avis que le roi. Il fut donc décidé que, pour la première fois, Logue céderait sa place à la reine et aux deux princesses aux côtés du roi pendant l’enregistrement.
« Savez-vous, madame, que je me sens comme un père envoyant son fils à l’école pour la première fois ? dit-il à la reine en prenant congé.
— Je vous comprends parfaitement », lui répondit-elle en posant sa main sur son bras.
Pour son premier Noël en famille après bien des années, Logue décida d’organiser une fête chez lui. John Gordon du Sunday Express et sa femme figuraient parmi les invités. Trop occupé par les préparatifs de la fête, Logue ne pensa presque pas au discours. Cinq minutes avant 15 heures, il disparut toutefois dans sa chambre et, après une courte prière silencieuse, alluma le poste de radio juste à temps.
Lorsqu’il entendit la voix du roi, Logue fut surpris par sa fermeté et la résonance de son timbre. La dernière fois qu’il l’avait entendu à la radio remontait à trois ans, et le roi avait fait bien des progrès. Il parlait avec assurance, plaçait bien ses inflexions et ne s’interrompait presque plus entre les mots. Durant les huit minutes de son discours, le roi n’hésita que devant un mot, « God », mais cela ne dura qu’une seconde et il reprit ensuite avec encore plus d’assurance.
De retour dans le salon où ses invités avaient écouté le discours, Logue reçut une véritable ovation. Il voulut alors les amuser et demanda : « Voudriez-vous entendre le roi parler ?
— Ma foi, nous venons de l’entendre, répondit Gordon.
— Si vous prenez les deux
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