Le fantôme de la rue Royale
jours. Disons, entre huit et quatre.
— Je vois. L’objet de cette ouverture est, je suppose, de déterminer s’il y a eu infanticide.
— C’est notre but, en effet.
— L’essentiel, dit le bourreau, est d’abord de s’assurer que le fœtus a vécu après l’accouchement. Est-il nécessaire de vous faire sentir toute l’importance de cette question ?
— Certes, mon cher confrère, intervint Semacgus. Ne voit-on pas qu’il est impossible de soupçonner que le crime a été commis après la naissance s’il est prouvé que l’enfant n’a point vécu ? Ici, vivre et respirer se confondent. Il faudra donc établir que le fœtus a respiré.
— Autrement, dit Bourdeau, sur un ton sentencieux, nous pouvons toujours réserver l’hypothèse de manœuvres abortives accomplies juste avant terme.
— Messieurs, reprit Sanson de sa voix douce, la solution de ces deux pertinentes questions repose tout entière sur l’examen du thorax et des poumons et, accessoirement, du cœur, des canaux artériels et veineux, de l’état du cordon ombilical et du diaphragme.
— Messieurs, messieurs, s’écria Nicolas, vous parlez d’or, mais vos connaissances ne sont pas les miennes. Simplifiez, de grâce, votre propos pour le pauvre auditoire que je suis.
— Voyez-vous, Nicolas, dit Semacgus, les poumons respirant prennent du volume. Ils changent de situation et de couleur et repoussent le diaphragme. Leur poids se trouve augmenté par le sang qui les parcourt et leur pesanteur spécifique est moindre, parce qu’ils sont dilatés par l’air. Je vous passe les détails et l’étude approfondie du phénomène. Nous allons procéder. Ma trousse étant à Vaugirard, j’ai emprunté celle du chirurgien de quartier au Châtelet. Bon gré, mal gré, il me l’a prêtée, l’évocation du nom du commissaire Le Floch ayant fait merveille !
Il désigna un coffret de cuir qui, ouvert, scintilla à la lumière des flambeaux. D’un sac en tissu noir, il sortit un récipient en verre gradué sur le côté. Puis, il mit bas son habit tandis que Sanson retirait son bicorne et sa veste d’apparat et que Bourdeau allumait sa pipe. Nicolas, presque instinctivement, sortit de sa poche une petite tabatière et assista avec horreur au début de l’ouverture. Quiconque l’eût observé n’aurait pu manquer de noter l’émotion qui le poignait. Ces deux hommes, qu’il connaissait trop bien, avec leurs qualités, leurs travers et même leurs vices, s’agitaient au centre de ce caveau sordide, penchés sur une pauvre chose pourrissante, en murmurant des paroles incompréhensibles. Il ferma les yeux quand de minuscules organes furent extraits, pesés, disséqués et examinés. Enfin, au terme d’une recherche qui lui parut interminable, et après que les poumons de l’enfantelet eurent été plongés dans le récipient rempli d’eau, les deux hommes se lavèrent les mains et échangèrent encore quelques remarques à mi-voix, avant de se tourner vers le commissaire.
— Alors, messieurs, dit Nicolas, que concluez-vous, si toutefois l’examen autorise une conclusion ?
Semacgus répondit :
— Le fœtus a respiré, nous en sommes convaincus.
— Nous écartons, poursuivit Sanson, la possibilité qu’il soit mort en naissant.
— Les poumons dans leur totalité sont d’un rouge peu foncé, mais plus léger que l’eau.
— Bien, je vous entends tous les deux. Mais si tout porte à croire que le fœtus a vécu après la délivrance de la mère, pouvez-vous déterminer si la mort est naturelle ou si elle peut être attribuée à quelque violence et, dans ce cas, quelle en est l’espèce ?
Après un long silence, Sanson croisa les mains.
— Nous avons écarté la monstruosité, source fréquente de décès, car l’enfant était normal et même bien constitué. Nous ignorons les conditions et la difficulté de l’accouchement, mais il n’y paraît rien sur un corps dont l’état n’est pas parfait. Il n’y a pas non plus présomption d’asphyxie.
— Alors ?
— Alors… Nous présumons une hémorragie ombilicale. On ne ligature pas le cordon et cela entraîne la mort. La jurisprudence considère que celui qui s’y risque encourt l’accusation d’infanticide. Nous croyons même que la ligature a été pratiquée par l’assassin, après avoir laissé couler le sang pour mieux donner le change. Ainsi, s’expliquerait que vous n’ayez pas découvert de linges ensanglantés ni de
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