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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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couchette…
    — Cela va. Donc, le logis quatre livres, plus deux livres pour la table, cela fait six livres. Monterons-nous jusqu’à huit ? Cela vous convient-il ?
    Un peu de rouge était venu aux joues de Galaine.
    — Serviteur, monsieur. Voulez-vous partager notre souper, nous allions commencer ?
    Nicolas s’inclina et suivit le marchand pelletier.
    La partie privée de la maison se trouvait derrière la boutique en façade et à gauche des bureaux de Charles Galaine. La mode avait peu à peu gagné, dans la bourgeoisie marchande parisienne, de consacrer une pièce aux repas. Ils pénétrèrent dans une salle à manger sans fenêtre. Un œil-de-bœuf donnant sur l’office devait, en plein jour, diffuser une médiocre lumière. Ce lieu renfermé, éclairé de mauvaises chandelles, jeta aussitôt Nicolas dans le malaise. Il fut présenté sans excès d’amabilité à la famille et six paires d’yeux se fixèrent sur lui. Le maître de maison prit place au haut de la table entre Camille et Charlotte, ses sœurs. À l’autre bout, se tenait Mme Galaine avec, à sa droite Jean, son beau-fils, et à sa gauche un blondin qu’on présenta comme Louis Dorsacq, commis de boutique. À droite de son demi-frère, une petite fille de sept à huit ans, à la figure anguleuse, se penchait sur son assiette et paraissait bouder. On apporta un couvert supplémentaire et Nicolas fut sèchement invité à prendre place en face de l’enfant.
    Après une soupe claire, trempée de pain sec, un plat de pigeons aux fèves fut apporté. Les chétifs volatiles paraissaient avoir rétréci à la cuisson. À la visible irritation des époux Galaine, l’aînée des sœurs, Charlotte, appuyée par le pépiement excité de sa cadette, entreprit de vitupérer le train de la maison en général et le plat présenté en particulier. Jamais, disait-elle, on n’aurait vu pareille chose du vivant de leur père. Il avait accru le pré carré de la famille et n’avait pas livré son négoce aux aventureuses spéculations et à la fortune de mer. Ah ! c’était une honte de devoir, devant un étranger, rappeler tant de préceptes utiles. Elle jeta un regard vipérin sur le commis et, changeant de chapitre, rappela les devoirs des garçons de boutique, tant en gros qu’en détail, et comment ils se devaient comporter. Il fallait pour cet office un garçon consciencieux, sage, fidèle et qui ne s’amusait pas tant à friponner, car ceux qui le font sont cause de la perte et de la ruine des marchands. Enfin, en toutes choses le commis devait s’appliquer à bien faire son devoir et à ne donner que de la satisfaction à son maître. Le coup de grâce fut assené par sa cadette, qui émit l’idée que, pour cette place, un godelureau blondin était le contraire du bon serviteur.
    Nicolas considérait avec inquiétude le pigeon qui se trouvait dans son assiette, qui résistait en glissant dans sa pauvre sauce aux tentatives de désarticulation. Les deux sœurs l’observaient en se gaussant. Charlotte reprit la parole sans que son frère daignât lever la tête. Quant à sa femme, elle poursuivait avec le commis une de ces conversations de bas bleu. Il était question de comparer la nouvelle salle de l’Opéra et celle de Versailles, où on faisait manœuvrer les chevaux à la petite écurie. La voix grinçante de Camille domina à nouveau le souper. Qu’étaient-ce que ces ombres de pigeon ? À n’en pas douter, des exemplaires de ces oiseaux urbains qui entêtaient le Parisien par leurs envols et leurs ordures. Pris au filet, ils étaient engavés par des hommes qui leur soufflent avec la bouche de la vesce 60 dans le jabot. Quand on leur coupe le col, on reprend cette même vesce à demi digérée et la même bouche la resouffle aux pigeons qui ne seront tués que le surlendemain. La police étant chargée de la surveillance des approvisionnements, Nicolas n’était que trop informé de cette pratique. Charlotte, sans raison, se mit à réclamer du perroquet. La petite Geneviève se leva, la main sur la bouche, repoussa sa chaise qui tomba, et disparut en courant. Charles Galaine releva la tête, assena un formidable coup de poing sur la table. Deux verres tombèrent imbibant de vin la nappe qui, dégouttant sur le parquet, forma une sinistre tache rouge, semblable à du sang.
    — Cela suffit, mes sœurs, c’en est trop. Regagnez vos chambres.
    Il était formidable d’autorité dans sa colère de timide. Chacun se leva.

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