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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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qui il donna des instructions. Sans plus se préoccuper de Nicolas, il se remit à l’examen des documents que lui tendait Sartine. Il soulignait sa lecture par de brefs commentaires que le lieutenant général de police relevait la plume à la main. Ainsi, toute la vie secrète de la capitale était-elle passée en revue — en particulier la présence dans les garnis et les hôtels d’étrangers qu’on soupçonnait toujours d’avoir partie liée avec des puissances étrangères. Le commis revint et susurra quelques mots à l’oreille du ministre.
    — Bon, bon, Sa Majesté passe la grille des réservoirs. Je crois, dit-il en se levant, que nous pourrons lui glisser un mot au débotté.
    En bas des escaliers, ils furent entourés par une nuée de solliciteurs qu’un huissier à verge tentait d’écarter d’un air gourmé. La tête de M. de Saint-Florentin disparut un instant sous une envolée de placets qui environnèrent sa perruque comme un vol de papillons blancs. La cour de marbre franchie, ils pénétrèrent dans les grands appartements. Lors de sa première visite à Versailles en 1761, Nicolas avait emprunté le même parcours quasi initiatique. Il avait traversé cette jetée de marches, ce vestibule, ces longs corridors et ce dédale de couloirs, pour enfin parvenir, comme aujourd’hui, dans une salle de vastes dimensions qui donnait de plain-pied sur le parc. Elle s’emplissait peu à peu de courtisans, de garçons bleus et de valets portant des serviettes dans une nef d’osier. M. de la Borde les accueillit. Le roi approchait et une rumeur confuse de pas, de cris et d’avertissements solennels montait comme une marée, répercutée par les échos du palais. Le premier valet de chambre s’informa des raisons de cette apparition inhabituelle du ministre et de ses gens. Nicolas lui conta l’affaire en deux mots. La Borde fit la grimace ; Mme du Barry attendait son maître dans le petit cabinet. Il rappela à son ami que la nouvelle sultane était d’une autre trempe que la Pompadour, belle, jeune et plus tempéramenteuse que la Marquise. Elle attendait du roi des attentions que l’excitation de la chasse favorisait davantage que les suites alourdies des medianoches nocturnes. Aussi, le roi n’aimait-il pas être dérangé à cette heure d’intimité privilégiée. La paisible conversation et les rafraîchissements d’antan avaient fait place à d’autres jeux. Le monarque apparut enfin, dans son habit bleu galonné d’or. Il se frappait la cuisse avec le manche de son fouet. Apparemment la chasse avait été bonne, il souriait. Mais Nicolas, une fois de plus, constata la voussure du dos. Marqué par ses soixante-dix ans, le roi, maintenant, portait vieux et ses proches s’inquiétaient des excès que la jeunesse ardente de sa maîtresse faisait éprouver à un organisme fatigué et usé.
    Le cérémonial habituel commença à mesure que le calme revenait. Louis XV fit un signe à Saint-Florentin qui s’approcha et haussa sa petite taille afin de lui parler à l’oreille, assez longuement. Le roi cligna les yeux et regarda successivement le lieutenant général de police puis Nicolas, à qui il adressa une gracieuse mimique, de celles réservées au petit Ranreuil, reconnu au hasard des défilés de la galerie des Glaces, lorsque le cortège royal gagnait la chapelle Saint-Louis. Le ministre acheva son aparté. Le roi leva la main ; La Borde s’approcha pour prendre les ordres.
    — Sa Majesté souhaite rester seule, dit La Borde en désignant le petit groupe composé du ministre et de ses deux adjoints.
    La foule des courtisans hésita. Un sourd murmure plana sur l’assistance déconcertée. Le roi fronça les sourcils, l’air impérieux. Le flot se retira avec des regards curieux ou hostiles sur les privilégiés en faveur desquels l’habituel protocole était bouleversé.
    — Toi, tu restes, dit le roi à un petit vieillard fardé perché sur ses talons rouges, en qui Nicolas reconnut aussitôt le maréchal duc de Richelieu. Là où il y a des diableries, tu as ta place réservée !
    — Sire, les Bourbons ont toujours eu peur du diable, c’est de notoriété.
    — Baste, reprit le roi, c’est qu’ils ne l’ont pas vu comme toi !
    Le vieillard s’inclina en ricanant.
    — Eh oui, messieurs, étant ambassadeur à Vienne, mon cousin 80 que voici et qui, notez-le bien, me représentait, eut la coupable fantaisie de se faire initier dans la société de quelques

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