Le fantôme de la rue Royale
méchants nécromanciers qui promirent de lui montrer Belzébuth.
Le roi baissa la voix et se signa.
— Sire, le nommer c’est l’appeler.
— Tais-toi, libertin ! Il donna donc dans cette chimère, messieurs. Il y eut une assemblée nocturne, mais certains assistants parlèrent. L’affaire éclata, et Vienne tout entière se partialisa sur ce scandale. Or, Richelieu, le petit Ranreuil que voilà…
— Que je connais, fit le maréchal, souriant de toutes ses fausses dents.
— … A vu, de ses yeux vu, d’étranges manifestations et des crises de possession. Il me demande d’autoriser que l’archevêque de Paris ordonne un exorcisme. Qu’en dis-tu, Richelieu ?
— Je prétends qu’entre un cas avéré, laissé sans secours ni remède, et une tentative licite et autorisée par l’Église, mieux vaut choisir la seconde voie, si incertaine qu’en soit l’issue. Autrement, l’archevêque en embuscade va croquer le marmot 81 et s’essaiera à tout coup de nous damer le pion. J’ai eu semblable problème à régler en mon gouvernement de Guyenne. J’ai étouffé dans l’œuf, par l’eau bénite et la cire des cierges, la rumeur et l’émotion du peuple.
Le roi continuait à manier son fouet, il paraissait assailli de pensées contradictoires.
— Ranreuil, l’avez-vous vraiment vu ?
— Sire, je demande pardon à Votre Majesté, qui ?
— Le… enfin, votre paillasse ne bougeait pas toute seule !
— Je puis affirmer qu’elle flottait, agitée avec violence au-dessus du sol et qu’on aurait pu y passer quatre mains dessous, que la jeune fille parlait latin et allemand, et que…
— Et que ?
— Que le marquis de Ranreuil, votre regretté serviteur, a parlé par sa bouche, évoquant des secrets de moi seul connus.
— Soit ! dit le roi. Puisqu’il nous faut en passer par là, je vous autorise à poser la question à l’archevêque. Saint-Florentin, faites le nécessaire, vous disposez de suffisamment de lettres signées en blanc. Que M. le commissaire Le Floch puisse avoir facile accès auprès de sa grandeur de Paris. Mais Ranreuil, vous me devrez un récit circonstancié, vous racontez si bien.
Sur cet aimable propos le roi leur tourna le dos, s’abandonnant aux mains de ses valets. Nicolas accompagna ses chefs dans l’aile des ministres. M. de Saint-Florentin écrivit quelques mots sur un blanc-seing, le scella, puis moula soigneusement la suscription. La cire à peine sèche, il remit la missive sans un mot. Nicolas allait quitter la cour du château quand Sartine, essoufflé, le rattrapa. Son chef lui répéta qu’il souhaitait être tenu au fait de l’affaire et lui recommanda de veiller à la sagesse de ses initiatives en une conjoncture si délicate. D’évidence, pour Sartine, la collusion avec l’Église ne pouvait que conduire à des achèvements risqués même si les commencements portaient l’accord, rare, entre le pouvoir civil et le magistère spirituel. Il lui enjoignit de ne pas oublier pour autant, quelque prenante que soit cette crise, les retombées de l’enquête sur la catastrophe de la place Louis XV. Nicolas saisit l’occasion d’informer son chef de l’agression perpétrée sur la personne de M. de Noblecourt. Elle scandalisa Sartine tant et si bien que Nicolas se crut autorisé à lui dévoiler l’affaire du ferret. Le lieutenant général demeura silencieux, considérant son adjoint avec curiosité. Nicolas ajouta qu’il était conscient d’avoir dépassé les bornes en oubliant ce que M. de Sartine lui avait inculqué lors de son entrée dans la police, à savoir « que, de son exactitude, dépendraient la vie et l’honneur d’hommes qui, fussent-ils de la plus basse canaille, devaient être traités selon les règles », et qu’en conséquence, conscient de sa faute, il remettait sa charge à disposition du roi, une fois élucidée l’affaire dans laquelle il était engagé.
Sartine souriait. Certes, il comprenait les scrupules de Nicolas et même ils augmentaient l’estime qu’il lui portait, mais tout cela n’était qu’enfantillage. Comment pouvait-on réserver un traitement équitable à un homme responsable de l’impéritie de la municipalité et de tant de morts innocents et auquel le hasard seul avait évité de devenir le meurtrier d’un vieillard ? Disposait-on d’un moyen de le confondre, oui ou non ? Il fallait en user, quel qu’en soit le prix, c’était une justice à rendre, et, lui,
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