Le fantôme de la rue Royale
jaillit sur la place d’armes sur le coup d’une heure. Il était aussi fourbu que sa monture qui, écumante, hennissait de plaisir à retrouver son écurie. Après l’avoir confiée à un palefrenier, il se dirigea aussitôt vers l’aile des ministres, persuadé que M. de Sartine devait y travailler avec M. de Saint-Florentin, ministre de la maison du roi. Il ne s’était pas trompé, un commis lui confirma la chose au milieu du vacarme des solliciteurs venus en foule dans l’espoir d’une audience ou d’un mot bref accordé entre deux portes. Nicolas était réputé comme apprécié du ministre et tous les barrages s’ouvrirent devant lui. Après une courte attente, il fut introduit. M. de Saint-Florentin et le lieutenant général de police, accoudés à une petite table à jeu, examinaient une pile de documents dans lesquels Nicolas reconnut les rapports de la haute police sur les étrangers séjournant à Paris.
— Comment, comment, dit M. de Saint-Florentin, voilà notre bon M. Le Floch ! Je suppose vraiment, vraiment, que vous ne nous dérangez pas pour rien ? Quel mauvais vent vous conduit ici ?
Nicolas savait rester clair tout en étant concis. Le ministre l’écoutait, le regard perdu dans le vague et le menton dans son poing. Sartine, en apparence impassible, ne parvenait cependant pas à maîtriser l’agitation de son pied droit.
— Ainsi, conclut Nicolas, je souhaiterais avoir licence et autorisation de saisir de ce cas exceptionnel Sa Grandeur, l’archevêque de Paris. Si je puis me permettre…
— Permettez, permettez.
— Si nous n’agissons pas ainsi, la chose n’étant déjà plus secrète, nous risquons de voir l’Église s’arroger le droit de régler l’affaire seule, sans contrôle.
— Bien vu cela, bien vu. Qu’en pensez-vous, Sartine ?
— J’ai tendance à penser qu’une fois de plus M. Le Floch prend les vessies pour des lanternes, mais comme chaque fois tout s’organise, au bout du compte, pour lui donner raison, j’incline à lui donner, si le roi l’ordonne, carte blanche sur cette affaire. De plus, ajouta-t-il avec un geste significatif, si cela tourne mal, nous n’aurons pas l’archevêque contre nous, car il sera obligé de faire front commun. Cette raison seule me convainc, car, pour le reste, je ne crois pas au diable et à toutes ces momeries. Cependant, si l’eau bénite les dissipe, il ne faut pas gâcher notre plaisir ! Toutefois, je me méfie du personnage. Souvenez-vous de l’affaire de la Gazette ecclésiastique.
— Je ne me souviens que de cela, mais rappelez-nous les faits pour l’édification — le mot est juste — de notre commissaire.
Nicolas se garda de dire qu’il avait déjà entendu son chef raconter l’affaire à de nombreuses reprises.
— C’est un fait, reprit Sartine, que j’avais trouvé le moyen de m’attacher un écrivain employé par cette feuille périodique. Il m’apportait les épreuves d’impremerie dans lesquelles il faisait rayer les passages trop satiriques. Mgr de Beaumont parvint à intercepter une de ces épreuves et découvrit mon affidé serviteur. Il fit demander au roi un ordre d’arrestation, l’obtint, et la lettre de cachet expédiée sur-le-champ lui fut remise. Il la fit exécuter à Paris par un huissier de son officialité. Je l’appris aussitôt et courus m’en plaindre au roi. Je lui avouai que c’était par l’entremise de la personne emprisonnée que l’on évitait que la Gazette ecclésiastique ne devînt, dans nos troubles religieux, un canal de fermentation tant parmi les jansénistes que dans le parti moliniste 79 . Je lui représentai surtout le danger qu’il pouvait y avoir à remettre dans d’autres mains qu’en celles du lieutenant général de police, qui en était regardé comme responsable, l’exécution des lettres de cachet dans Paris.
— À l’instant, à l’instant, le roi me fit appeler, intervint Saint-Florentin et m’ordonna d’expédier une autre lettre de cachet afin de libérer le prisonnier, tout en me mandant de veiller à ce que, dans l’avenir, les exécutions de ses ordres fussent exactement observées dans les règles. Enfin, pour cette affaire-ci, nous avons pris une position qui me paraît de bonne politique. Reste à trouver le roi. Il chassait ce matin dans le grand parc. Je dispose de toute une ligne de relais en chaîne pour m’avertir à tout moment de son retour.
Il agita une petite sonnette. Un commis surgit, à
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