Le Fardeau de Lucifer
s’arrêta.
— Merci, dit-elle.
— De quoi ?
— D’être là. Après. tu sais, après, j’étais perdue dans cet endroit, très loin, comme à Rossal. C’est ta présence à mes côtés qui m’en a ramenée. Sans toi, je crois bien que je ne serais jamais revenue.
— C’est bien la première fois que j’ai un effet bénéfique sur la vie de quelqu’un, grognai-je.
Elle sourit avec tolérance.
— Il n’était pas nécessaire de faire ce que tu as fait à Raynal.
— Oh, si.
— Pour toi, la violence a toujours été la réponse à tout. Chacun de nous doit mater des passions différentes. Tu es ce que tu es. Et tu resteras toujours mon tendre ami.
— Mon amitié est une chose périlleuse, Pernelle. Tu serais plus en sécurité sans elle.
— Plus seule aussi.
Je me levai brusquement du lit.
— Bon, la philosophie n’est pas pour moi. M’autorises-tu à sortir d’ici ?
— Tout dépend. Seras-tu raisonnable ?
— Je m’y engage sur l’honneur, dis-je, en posant dramatiquement la main sur le cœur.
— Tes côtes guérissent bien. Tu as le droit de marcher, mais ne fais pas d’efforts inconsidérés. Je te ferai porter des vêtements.
— Et mon arme ?
— Bien entendu, soupira-t-elle en roulant les yeux. Je ne vais quand même pas te laisser te montrer en public sans un instrument de mort au côté.
Elle franchit l’embrasure puis tourna la tête.
— Et tant qu’à y être, on t’apportera un rasoir, aussi. On dirait que tu as un hérisson sur le visage.
— Et Ugolin ? Je peux le voir ?
Avant de partir, elle m’expliqua où je pourrais trouver mon camarade.
Une heure plus tard, j’avais revêtu des braies et une chemise neuves, gracieusetés de Roger Bernard. En plus de Memento, qu’il avait pris soin de faire affiler par son armurier personnel, il m’avait fait porter des bottes de cuir souple qui m’allaient à la perfection. Lorsque je bouclai mon ceinturon et que mon fourreau appuya contre ma cuisse, je me sentis revivre, n’en déplaise à Pernelle. Fraîchement rasé, mes longs cheveux roux attachés sur la nuque, je sortis, goûtant l’impression de mettre fin à une longue incarcération. Une fois dehors, je m’arrêtai sur le seuil du châtelet et humai l’air matinal.
La première chose que je fis fut de visiter Ugolin, que j’avais vu pour la dernière fois alors qu’il portait Pernelle, inerte. Quand j’entrai dans l’infirmerie, je ne pus m’empêcher de sourire. Mon amie était vraiment sur la voie de la guérison. Elle avait enfourché un homme assis sur une chaise et, armée de pinces, tirait en grognant sur l’une de ses dents. La bouche béante, gémissant comme une truie qu’on égorge, le pauvre hère semblait évaluer sérieusement la pertinence de conserver l’abcès qui l’avait mené là, mais Pernelle n’était pas du genre à abandonner et je savais fort bien qu’elle ne le laisserait fuir qu’une fois que le chicot récalcitrant serait extrait.
Puis j’aperçus Ugolin. Le colosse avait été recousu autant que moi et, pour avoir vu l’état de son dos et de son torse, je ne doutais pas qu’il était aussi couvert de bandages. Mais tout cela n’était déjà plus qu’un mauvais souvenir pour lui. Il se tenait près de Pernelle avec une admiration presque servile, tenant pour elle une chaudière d’eau chaude dans laquelle elle trempait périodiquement son instrument de torture. En les observant, je réalisai que ces deux-là s’aimaient à la façon d’enfants inséparables. Je savais pertinemment que jamais un cathare n’entretiendrait de pensées impures pour une Parfaite, et l’inverse encore moins, mais je les enviais. Aimer, tout simplement, sans arrière-pensées, était une chose que je ne connaîtrais jamais. J’avais Cécile à portée de main et je ne cessais de remettre en question mon sentiment, de peur de lui apporter le malheur.
— Te voilà en forme, Ugolin ! m’écriai-je en forçant un rire.
Il se retourna et son visage s’éclaira d’un vaste sourire. Il consulta Pernelle du regard et celle-ci hocha la tête pour l’autoriser à l’abandonner un moment. Aussitôt, il déposa la chaudière et accourut vers moi, les bras grands ouverts.
— Hé ! dis-je en levant les mains pour me protéger. Retiens-toi de me serrer, tu veux ? J’ai des côtes brisées, moi !
Modérant son
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