Le Fardeau de Lucifer
Comment vont tes mains ? demandai-je en caressant ses cheveux.
Elle les leva devant son visage, de sorte que je pus apercevoir ses bandages dans la lumière du ciel étoilé.
— Elles font encore mal, mais dame Pernelle m’assure qu’elles seront comme avant.
— Tu aurais pu laisser ta vie dans cette histoire, dis-je d’un ton amer en fixant le plafond.
— Je sais. Et après ?
— C’est par ma faute que tu y as été entraînée.
— Tu t’en veux ? C’est pour cela que tu es si triste ?
— Entre autres choses, oui.
Elle se redressa sur un coude. Comme je persistais à regarder le plafond, elle me saisit le menton du bout des doigts et tourna mon visage vers elle. Son expression était intense et grave.
— Eh bien, tu fais erreur, Gondemar, dit-elle d’un ton convaincu. N’as-tu vraiment rien compris de ce que je t’ai dit quand nous étions au cachot ? Cette affaire me concerne aussi, que cela te plaise ou non. Je suis une Foix. Depuis très longtemps, notre famille est liée à la même cause que toi. Tante Esclarmonde davantage que moi, je te le concède. Mais mon implication était écrite dans le ciel et tu n’es pas responsable de ce qui s’est produit. Nos destinées se sont croisées, tout simplement.
— Voilà une chose fort dangereuse pour toi.
Je sentis une boule me monter dans la gorge. J’éprouvais un besoin puissant de vider mon sac, de dire à quelqu’un, ne serait-ce qu’une fois, tout ce que j’avais fait. Elle m’en empêcha avec un baiser. Puis les choses suivirent leur cours. Ses mains étaient blessées, certes, mais sa bouche était vorace et son corps fervent. Avec reconnaissance, j’oubliai ma vie dans son étreinte, me perdant dans cette union de nos deux âmes. Cette nuit-là, je pris Cécile plusieurs fois, avec une tendresse que je ne me connaissais pas, cessant instinctivement les mouvements de mon bassin pour la regarder dans les yeux en caressant ses joues et arrêter le temps avant que le pire ne vienne. Et lorsque le plaisir nous prenait, il était doux, lui aussi, dénué de violence, serein. Parfait.
J’avais le sombre sentiment de lui faire mes adieux et elle le sentit. Alors que nous reprenions notre souffle, couverts de sueur, elle posa son menton sur ma poitrine et m’examina avec sérieux en caressant distraitement le poil roux qui la couvrait.
— Tu partiras, n’est-ce pas ? s’enquit-elle, une tristesse mal contenue dans la voix.
— Oui.
Que Dieu me rappelle en enfer ou qu’il me laisse sur terre, je devrais partir. C’était inévitable. Pour affronter ma damnation ou pour continuer à chercher la Vérité. D’une façon ou de l’autre, ma présence ici n’était que passagère. Au mieux, je pouvais espérer revenir. Mais, depuis deux ans, j’avais chèrement appris que l’espoir n’avait pas sa place dans la vie qu’on m’avait imposée. Pas plus que le bonheur.
— Tu espères un autre message du Chancelier ? s’enquit-elle, la déception perçant malgré elle dans sa voix.
— Non.
— Alors pourquoi partirais-tu ?
— Je voudrais rester, Cécile. De tout mon cœur. Mais la volonté est une chose, la destinée en est une autre.
Nous restâmes silencieux dans le noir, Cécile déçue et moi résigné. Au matin, elle était repartie. Je me dis avec tristesse que si elle ne revenait jamais, ce serait mieux ainsi. Pour elle.
Ironiquement, ce fut la raison d’État qui me tira de ma torpeur. Je venais à peine de sortir du lit, à l’aube, lorsque Roger Bernard fit irruption dans ma chambre, sans frapper.
— Bon, tu n’as pas réussi à obtenir ce que tu souhaitais. Fais-en ton deuil. Ou prévois-tu continuer à ruminer comme une pleureuse ? demanda-t-il sans ambages, avec une bonne humeur un peu forcée.
— Je ne sais pas, répondis-je. Pourquoi ? Ça fait une différence ?
— Parce que le devoir t’appelle. Pleurnicher comme une vieille ne te va pas du tout, mon ami. Mon père requiert ton concours et, par Dieu, il l’obtiendra, même si je dois te traîner par le fond de tes braies ! Allez ! Habille-toi et suis-moi. Les choses se bousculent.
Il ramassa Memento, qui traînait par terre, et me la mis dans les mains.
— Le comte de Toulouse est revenu avant-hier, expliqua-t-il. Il n’était pas très heureux, tu peux l’imaginer. Mais la raison d’Etat a préséance sur les haines personnelles.
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