Le Fardeau de Lucifer
lui, ce bougre cornu ? Je me serais contenté d’un lever de soleil hâtif qui m’aurait permis de prendre tout de suite connaissance du message du Cancellarius Maximus.
Les premières lueurs mauves, jaunes et roses de l’aube naissaient à l’horizon lorsque nous arrivâmes enfin devant les murailles de la cité. Les sentinelles, au courant de notre sortie, nous reconnurent de loin et le pont-levis fut abaissé à notre approche. Nous pénétrâmes dans la ville sans nous arrêter. Roger Bernard, Ugolin et moi filâmes vers le châtelet de Foix alors que les soldats nous quittèrent pour l’écurie. Aussitôt arrivés, nous démontâmes à la hâte et courûmes vers la salle où j’avais été confronté pour la première fois à Roger Raymond de Foix et à son fils, voilà ce qui me semblait une éternité. Là, des torches brûlaient en permanence et la lumière était bonne.
Pendant que Roger Bernard et Ugolin attendaient, nerveux, je sortis l’enveloppe et, d’une main qui tremblait légèrement, j’en tirai le parchemin. Je le dépliai et le lus. Puis je le relus, encore et encore, incrédule. Je dus pâlir, car le jeune Foix s’approcha et me posa la main sur l’épaule.
— Que se passe-t-il ?
— Vois toi-même, rétorquai-je d’une voix éteinte en lui tendant le papier.
Il le lut et son visage se crispa.
— Putain de Dieu ! éclata-t-il. Qu’est-ce que Toulouse espérait obtenir en livrant ce torchon à Montfort ?
— Le comte ne connaît rien de la Vérité. Pour lui, le fait que Montfort désirait le message signifiait qu’il avait une valeur d’échange, rien de plus. Il a beau être noble, fondamentalement, il n’est qu’un marchand qui vend sa camelote au plus offrant.
Roger Bernard passa le parchemin à Ugolin, soupira et hocha la tête.
— Tu espérais mieux que ça, je le sais. Je suis désolé, dit-il avec sincérité.
— Pas autant que moi, répondis-je, dépité.
Livide, Ugolin me remit le message dont il venait de prendre connaissance.
— Il te chasse comme un manant. Toi, le Magister des Neuf, dit-il, toujours solidaire de ma pathétique personne.
— Il faut croire que le titre ne l’impressionne guère.
— Pour qui se prend-il, celui-là ? Pour Dieu en personne ?
Il cracha rageusement sur le sol.
— Pour mon supérieur, Ugolin. Et, par la volonté d’Hugues de Payns, c’est exactement ce qu’il est.
Je relus à nouveau les quelques lignes à l’écriture maladroite, espérant y trouver un double sens, quelque chose à quoi m’accrocher. Mais je n’y vis rien qui me donnât le moindre espoir.
Ta requête est rejetée. La seconde part de la Vérité demeurera cachée jusqu’au moment de la Révélation. Seul celui qui prouvera sa valeur pourra prétendre au titre de Lucifer. Retourne à la mission qui est la tienne et ne te mêle plus des choses qui ne te concernent pas.
Cancellarius Maximus
Toulouse, le neuvième jour de septembre de l’An du martyre de Jésus 1211.
La voie vers la seconde part de la Vérité m’était fermée. J’avais follement espéré regrouper tous les documents et assurer leur protection, mais cela n’était plus possible. J’allais replier l’inutile papier quand Pernelle fit irruption dans la pièce, essoufflée et le foulard noir de travers sur la tête. Elle accourut vers moi.
— On m’a annoncé votre retour. Alors ? Vous avez réussi ?
Je lui tendis le papier sans rien dire. J’avais la gorge nouée et, si j’avais parlé, je crois que j’aurais éclaté en sanglots tant j’étais anéanti. Elle lut anxieusement plusieurs fois, puis ferma les yeux et secoua la tête avec tristesse en me le rendant.
— La volonté de Dieu n’est pas à discuter, mais à accepter, déclara-t-elle d’une voix attristée. Et maintenant ?
— Rien.
— Le Cancellarius Maximus t’enverra peut-être un autre message.
Malgré moi, j’entrai dans une colère noire. Je saisis la table la plus proche et, indifférent à la douleur dans mes côtes, je la fracassai sur le sol. Puis j’empoignai les deux chaises qui l’avaient accompagnée et je les lançai à travers la pièce. Elles allèrent se briser contre le mur.
— Putain de Dieu ! Ne sais-tu pas lire ? C’est écrit noir sur blanc : ma requête est rejetée ! m’écriai-je en brandissant le message froissé sous son nez. J’ai tenté de lui forcer la main et il
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