Le faucon du siam
golfe du
Siam. Dans l'île même qui abritait la cité, de larges rues bordées d'arbres et
pavées de brique suivaient des canaux sans fin parsemés de petits ponts en dos
d'âne. Ce n'était pas pour rien que les Portugais l'avaient baptisée la Venise
de l'Orient. Ici, à la place des gondoles, de grandes barques dorées propulsées
par des rameurs en habits vermillon sillonnaient les canaux. Partout temples et
clochers, au lieu des dômes et des beffrois, s'élevaient brillants sur un ciel
d'un bleu pur. Phaulkon aimait le contraste entre les pagodes étincelantes et
la simplicité des édifices de bois bâtis sur pilotis où logeait la population.
Il s'émerveillait de l'animation et de l'odeur des marchés, de l'activité le
long des canaux qui se déployaient aussi loin que pouvait porter le regard. Au
nord de la ville, s'étendait une autre cité enceinte de murs, une ville dans la
ville, avec presque quatorze arpents de superficie, d'où s'élevaient les plus
magnifiques clochers, ceux du Grand Palais : c'était là que résidaient Sa
Majesté et toute sa cour; nul roturier, sous peine de mort, ne pouvait y
pénétrer.
Seul sur le pont, il se sentait de nouveau saisi par
cette soif du pouvoir, ce désir de faire d'Ayuthia la plus grande ville
marchande du monde. Ayuthia, pour l'instant, ne jouait qu'un rôle
d'inteimédiaire : c'était un entrepôt entre le Proche et l'Extrême-Orient où
négociants chinois et japonais apportaient du thé, des porcelaines et des
soies, et repartaient avec des cargaisons de nids-d'oiseau, de poivre et de
bois odoriférants. Par l'intermédiaire des Maures, les Siamois revendaient le
même thé, les mêmes porcelaines et les
mêmes soies aux marchands indiens et persans qui les
expédiaient vers l'ouest jusqu'à leurs anciennes patries.
Pourquoi toutes ces marchandises devaient-elles être
transportées par des étrangers ? se demanda une nouvelle fois Phaulkon. Avec
une flotte marchande, le roi de Siam pourrait doubler ses revenus. Comme
d'autres faisaient commerce au nom du roi — et empochaient la majorité de ses
bénéfices —, la Couronne avait imposé une condition obligatoire pour compenser
ce manque à gagner. Chaque fois qu'un navire de commerce faisait escale à
Ayuthia, les premiers à monter à bord étaient les officiers du roi possédant le
droit d'acheter toutes les marchandises se trouvant sur le vaisseau — à des
prix fixés par la Couronne. Voilà, se dit Phaulkon, qui n'incitait guère à
commercer. Il ne restait que ce qu'on pouvait vendre ouvertement sur le marché.
Peut-être les coffres du Trésor s'emplissaient-ils provisoirement, mais cette
méthode diminuait peu à peu le nombre des navires faisant escale à Ayuthia.
Au milieu de l'après-midi, ils entrèrent dans la rade :
un vaste bassin devant les murs de la ville où les navires pouvaient s'arrêter
pour des réparations et où l'on construisait actuellement les coques ventrues
de nouveaux navires de teck. Dans ces parages, en dehors de la cité, tous les
étrangers logeaient dans des campements ou des faubourgs. En effet, la nuit une
fois tombée, la ville ceinte de murs fermait ses portes aux étrangers et aucun
d'eux n'était autorisé à y résider. Le minuscule quartier anglais où avait vécu
Phaulkon se trouvait à côté du grand campement portugais très proche du port.
Impatient de retrouver les siens, Le Grec salua le capitaine et l'équipage,
rassembla son maigre bagage et se mit à traverser les rangées de navires à
l'ancre qui formaient un pont jusqu'au rivage.
Il se trouva presque aussitôt dans le secteur européen où
la plupart des maisons étaient en briques :
beaucoup possédaient des jardins spacieux et de larges
allées bordées d'arbres qui reliaient un quartier à un autre. En franchissant
la porte qui marquait l'entrée du quartier portugais, Phaulkon s'émerveilla une
fois de plus de la sagesse du système siamois et du monarque qui l'avait conçu.
En interdisant aux étrangers de résider dans la ville proprement dite, le roi
s'assurait qu'ils ne frayaient pas trop librement avec son peuple et ne le
corrompaient pas. En laissant ses sujets se gouverner eux-mêmes, il était
soulagé de cette charge. Ainsi chaque nation avait-elle son propre faubourg et
était autorisée à pratiquer sa propre religion et à vivre suivant ses coutumes,
à condition que celles-ci n'entrent pas en conflit avec les lois du Siam.
Un mandarin siamois était affecté à chaque
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