Le faucon du siam
précipitaient vers eux,
dévorant la distance à une vitesse qui semblait incroyable. Grâce aux efforts
de chacun des soixante rameurs, les embarcations filaient au son des tambours
et des encouragements des spectateurs à terre qui avaient parié sur leur
concurrent favori. Les rameurs assis sur des bancs l'un derrière l'autre, chaque
équipage étant vêtu d'une couleur différente, plongeaient en cadence leurs
avirons dans l'eau au rythme d'une longue baguette de bambou. Le capitaine, le
seul à être debout, les exhortait de la poupe en ponctuant ses cris de coups de
canne sur le pont. Les foules qui s'alignaient sur la rive battaient des mains
à l'unisson, les cris devenant fébriles au moment où deux des bateaux
doublèrent les autres, bord à bord. À la dernière seconde, l'un d'entre eux
jaillit en avant et à toute allure devant les deux grands canots où étaient
installés les juges. Un énorme rugissement monta de la foule. En un instant,
des dizaines de petites pirogues surgirent de nulle part et se précipitèrent
vers le milieu du courant pour couvrir de guirlandes les vainqueurs et offrir
des rafraîchissements aux participants. C'était l'une de ces grandes courses
d'avirons : un événement sportif qui accompagnait toujours une fête ou un jour
férié, surtout si le temple que l'on honorait était situé non loin du fleuve.
La compétition terminée, les habitants s'intéressèrent
alors à Phaulkon. Ils convergèrent vers son bateau en discutant avec animation.
Il devait en effet offrir un étrange spectacle, comprit-il, vêtu comme il était
du seul pagne que lui avait donné le gouverneur de Ligor. On s'attendait à voir
les farangs porter des vêtements farangs. Arborant l'éternel sourire de leur
race, les Siamois ne cherchaient guère à dissimuler leur curiosité. Ils
lançaient sur le pont du jasmin et des tubéreuses et, quand le navire reprit sa
route, une dizaine de pirogues les suivirent et les escortèrent au-delà des
canots de course. Ils passèrent devant
l'embarcation des vainqueurs et Phaulkon observa avec
admiration la finesse du canot. Les deux extrémités du long esquif s'élevaient
au-dessus de l'eau en un large demi-cercle : la poupe et la proue en forme de
garudas, les oiseaux mythiques étincelants d'or et de laque, se dressaient avec
majesté. La coque avait été creusée dans un seul tronc d'arbre.
Ils gagnèrent des eaux plus calmes et le voyage reprit
son cours normal. Une nouvelle vague d'inquiétude saisit Phaulkon, comme cela
s'était régulièrement produit durant les dix jours du voyage. Il n'avait
échangé que de temps en temps un sourire avec le robuste capitaine et ses deux
hommes d'équipage à la peau sombre. Quant à eux, ignorant qu'il connaissait
leur langue, ils l'avaient laissé à ses pensées. Il dînait seul et passait des
heures à méditer sur le pont ou enfermé dans sa minuscule cabine.
Il ne cessait de s'inquiéter du sort de Bumaby et d'Ivatt
: le fait qu'il n'ait pas pu leur expliquer son départ le hantait. Allaient-ils
au moins être bien traités? Comment obtiendrait-il leur libération s'ils
étaient retenus en otages dans l'attente d'un nouveau jeu de documents qui
n'existaient pas ? Et Sunida : comme elle lui manquait! Ce trajet aurait été
bien plus supportable avec elle à son côté, pour détourner ses pensées de la
constante inquiétude qui le rongeait. Par moments, il aurait voulu voir ces
journées sans fin s'écouler plus vite. À d'autres, il remerciait le Ciel que
l'heure ne fût pas encore venue d'affronter à Ayuthia les conséquences de sa
supercherie.
Il avait le sentiment de n'avoir jamais été si près — ou
si loin — de son but. Toutes les connaissances qu'il avait péniblement
accumulées, les années de préparatifs, les succès et les revers, tout cela
pouvait être anéanti dans les jours à venir et cette perspective l'emplissait
d'appréhension. Il était tout à la fois enchanté de retrouver sa bien-aimée
Ayuthia et inquiet de l'accueil que lui réserverait la ville.
Une seule chose lui semblait encourageante. À sa
connaissance, le mandarin n'avait envoyé aucune dépêche par ce bateau. Phaulkon
avait soigneusement
observé les mouvements du capitaine lorsqu'ils étaient à
quai à Ligor. On ne lui avait remis aucun document. La veille encore, il avait
entendu des hommes d'équipage marmonner qu'ils n'auraient même pas le temps de
débarquer à Ayuthia. On leur avait donné l'ordre de
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