Le faucon du siam
secteur
national. Bien qu'il fût là théoriquement pour représenter la Couronne, c'était
surtout une position protocolaire. Pour les affaires importantes on s'adressait
toujours au Barcalon : ce très puissant ministre était en effet responsable de
tous les étrangers du pays et nul d'entre eux ne pouvait entrer dans le royaume
ou en sortir sans sa permission.
Le cœur de Phaulkon se mit à battre plus vite lorsqu'il
aperçut au loin sa maison. Elle était bâtie dans le style siamois : en bois, à
un seul étage et sur pilotis. Elle comprenait trois grandes pièces : une salle
de réception et deux chambres. Un édifice plus modeste situé à côté abritait sa
cuisinière, sa servante et les trois femmes esclaves qu'il avait achetées à
vie. Un petit jardin séparait la maison de la route et une porte de bois en
marquait l'entrée. C'était sans prétention mais suffisant.
Sorn, la cuisinière, fut la première à le voir. Elle
alerta bruyamment les autres et dans toute la maison on se mit bientôt à crier
: « Le maître est de retour! » Au bout de quelques instants, les domestiques
dévalaient les marches pour venir se prosterner sur la pelouse devant la porte
: Sorn, Tip, la femme de chambre, et Nid, Ut, ainsi que Noi, les filles
esclaves choisies pour leurs exceptionnels talents de massage.
« Seigneur Maître, nous pensions que vous ne reviendriez
jamais », déclara Sorn. Le privilège du rang l'autorisait à parler la première.
« Un mois, c'est beaucoup trop long.
— Comment pouvais-je ne pas revenir quand je savais
que tu ne ferais que paresser en mon absence? lança Phaulkon en plaisantant. Je
meurs d'envie de faire un bon repas, de prendre un bon bain et de profiter d'un
long massage. J'espère que vous avez continué à vous entraîner. » Phaulkon
adorait la cuisine de Sorn et les doigts habiles de ses masseuses n'avaient pas
leur pareil.
« Nous vous attendions chaque jour, Seigneur Maître,
répondit Sorn. Un messager s'est présenté trois fois la semaine dernière pour
voir si vous étiez de retour. Il a laissé une dépêche. Tip, va la chercher pour
le Seigneur Maître. »
Tip s'éloigna en courant, courbée en deux et revint
quelques instants plus tard avec une feuille de papier de riz pliée. Phaulkon
l'ouvrit et un sourire s'épanouit sur son visage. Par quel heureux hasard
était-il rentré aujourd'hui? De toute façon, il comptait voir à la première
occasion mestre Phanik. Peu de gens connaissaient mieux la politique
siamoise que le doutor, comme tout le monde l'appelait dans le quartier
portugais. S'il y avait eu des universités au Siam, se dit-il, le doutor aurait certainement occupé la chaire des Affaires siamoises. Et voilà que le
soir même Phaulkon était invité à une soirée en l'honneur de Maria, la nièce de mestre Phanik, dont on fêtait le seizième anniversaire.
«Que s'est-il passé d'autre en mon absence? demanda
Phaulkon.
— Pas grand-chose, Seigneur. Sauf que vous nous avez
manqué à toutes », répondit Som. C'était une grosse femme exubérante qui
donnait l'impression d'avoir au moins une douzaine d'enfants cachés quelque
part.
« Vous m'avez manqué aussi », affirma Phaulkon avec une
chaleur sincère, tout en gravissant les marches qui menaient à la maison.
Il entra dans le salon qui renfermait des objets d'art de
la première période d'Ayuthia : des coffres à manuscrits, des bibliothèques, un
gong de temple, des tablettes votives en bois dorées à la feuille, des
instruments de musique anciens et un collier de clochettes de bronze encerclant
l'encolure d'un cheval.
Il se jeta sur une pile de coussins dans le coin et ferma
les yeux. Bon, il lui faudrait un jour de plus se passer de la cuisine de Sorn.
Il aurait tout juste le temps de prendre un bain et de se faire masser avant de
s'en aller jusqu'à la maison de mesîre Phanik. Cette idée venait à peine
d'atteindre son esprit que Nid s'agenouillait sans un mot à ses pieds et
dénouait les pans de son panung. Pendant ce temps, les doigts experts d'Ut,
arrivée par-derrière, lui pétrissaient doucement les tempes.
Comme elles comprenaient bien ses besoins, se dit-il. Et
comme il était bon d'être de retour.
15
De nombreux esclaves étaient accroupis dans la vaste cour
où un certain nombre de chaises s'alignaient, leurs porteurs debout auprès
d'elles. La maison de mestre Phanik était au cœur du quartier portugais
où vivaient environ quatre mille ressortissants; un grand
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