Le faucon du siam
Hollandais
eux-mêmes auraient-ils expliqué ces marques de fabrique en admettant que vous
ayez signalé l'arrivée des canons à Pattani ?
— Ils auraient évidemment prétendu que nous les
avions volés, Excellence. »
Le Barcalon secoua la tête à plusieurs reprises comme
pour signifier qu'il en avait assez.
« L'affaire se corse, monsieur Forcone, mais
malheureusement la logique s'effiloche. Dites-moi plutôt pourquoi vous avez
affirmé au gouverneur que c'était moi qui avais donné l'ordre de toute cette
expédition. Je dois dire que vous ne manquez pas d'imagination.
— Puissant Seigneur, moi, un grain de poussière sur
la plante de votre pied, implore l'indulgence de Votre Excellence. Après la
découverte du canon, le gouverneur nous aurait certainement emprisonnés si nous
ne lui avions pas assuré que c'était Votre Excellence qui était à l'origine de
cette mission. Il nous fallait à tout prix gagner du temps. L'un de nous au
moins devait être libre de retourner à Ayuthia pour exposer toute la vérité à
Votre Excellence. » Phaulkon parut s'enfoncer encore plus profondément dans le
tapis. « C'était terrible d'être obligé de dire une chose pareille, Excellence,
et je vous assure, je ne l'ai fait que poussé par la plus absolue nécessité.
— Non, monsieur Forcone, ce n'était pas terrible.
C'était criminel. » Le Barcalon avait un ton glacial et, dans le silence qui
suivit, Phaulkon entrevit son exé-cution. La chose allait-elle être rapide et
miséricordieuse ou bien allait-on d'abord le torturer pour lui faire avouer
tous les détails du complot ? Les Siamois avaient une méthode qui avait fait
ses preuves pour arracher des renseignements à des criminels : ils les
attachaient nus à un poteau, au crépuscule, dans une région marécageuse. Les
nuées de moustiques assoiffés mettaient en général toute la nuit pour sucer
jusqu'à la dernière goutte le sang de la victime. Rares étaient ceux qui ne
demandaient pas à passer aux aveux.
Le ton sévère du Barcalon vint interrompre l'horrible
vision de Phaulkon.
« Et pourquoi, exactement, avez-vous caché au gouverneur
que vous connaissiez le siamois ?
— Une précaution instinctive, Excellence. Pour mieux
savoir quelle était notre position. » De tels aveux lâchés de temps en temps,
songea Phaulkon dans un dernier sursaut d'espoir, contribueraient à rendre plus
plausible le reste de son récit, surtout si ces aveux, dans une certaine
mesure, l'accusaient lui-même.
« Et d'abord, pourquoi avez-vous appris notre langue,
monsieur Forcone? Aucun des autres marchands ne semble avoir fait cet effort.
Vous n'êtes pas un de ces missionnaires dévoués à leur tâche, j'en suis
certain. » Il eut un sourire narquois. « Si vous voulez bien me pardonner, ce
que je connais de votre mode de vie n'est guère compatible avec un sacerdoce. »
Il dévisagea un long moment Phaulkon. « Ne seriez-vous pas par hasard un espion
? »
Le cœur de Phaulkon s'arrêta. Était-ce une allusion au
rôle d'espion qu'il prétendait jouer pour le roi ? Il était pratiquement mort
si le gouverneur avait révélé cette partie de son récit. Ce serait un crime de
lèse-majesté que seule une longue torture et la mort pourraient châtier. Il s'obligea
à garder un ton calme.
« Excellence, j'ai appris le siamois parce que je me sens
attiré par ce pays comme par aucun autre auparavant. Et j'espère sincèrement
être un jour en mesure de le servir.
— Alors que vous servez déjà les Anglais ?
— Puissant Seigneur, seule l'Angleterre m'a demandé
de la servir.
— De quelle façon pensez-vous être utile à ce pays,
monsieur Forcone ?
— En m'assurant que le pavillon siamois est connu et
redouté de l'océan à la mer de Chine.
— Même si vous-même n'êtes pas siamois ?
— Les Maures ne le sont pas davantage, Excellence.
Et pourtant ils servent votre pays.
— C'est une vieille tradition.
— Mais qui a eu également ses débuts, Puissant
Seigneur. Et un apport de sang nouveau est vivifiant. Si Votre Excellence
voulait bien m'offrir une chance, avec une cargaison je pourrais emplir les
coffres de son Trésor au-delà de tout ce qu'elle a obtenu en un an avec les
Maures.
— Ainsi, vous, un Grec au service de l'Angleterre,
vous nous bâtiriez une nouvelle flotte et vous feriez de nous une redoutable
puissance commerciale? fit le Barcalon d'un ton sarcastique.
— Je préférerais le faire en tant que Grec au
service du
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