Le faucon du siam
Excellence.
— Mais, puisque nos équipages sont essentiellement
composés de Maures, cela n'irait-il pas à l'encontre du but même de l'opération
?
— En effet, Excellence. » Phaulkon réfléchit un
instant. « Mais j'ai une meilleure idée. Si M. Burnaby était nommé capitaine
d'un de vos navires et recrutait son équipage, je resterais volontiers ici en
otage en attendant son retour. Je ne serais libéré que le jour où M. Bumaby
aurait remis au Trésor de Votre Excellence tout le profit de l'expédition. » Si
le Barcalon voulait bien mettre un vaisseau à sa disposition, alors tout
n'était pas perdu. C'était une solution tout à fait acceptable pour remplacer
le navire de Sam White, au cas où la cargaison n'arriverait pas à temps à
Mergui, comme cela semblait de plus en plus probable.
« Je ne me rendais pas compte que vous étiez actuellement
autre chose qu'un otage, monsieur Forcone. Est-ce bien à vous, dès lors, qu'il
appartient de négocier votre liberté? »
Le Barcalon eut un sourire affable et, d'un signe de tête
à peine perceptible, demanda sa boîte de bétel. Aussitôt un esclave se coula
hors de l'ombre pour satisfaire le désir de son maître. Le Barcalon prit une
noix dans la boîte incrustée de diamants et se mit à la mastiquer tout en
réfléchissant. Un moment, il contempla sans mot dire les murs lambrissés.
Il avait très envie de mettre à l'épreuve le plan du
farang mais il ne devait surtout pas manifester le moindre enthousiasme. Il
sentait que Phaulkon était sincère. Il était dans l'intérêt manifeste du farang
que le capitaine anglais réussisse dans son entreprise. Les agissements des
Maures seraient alors dénoncés de manière impitoyable et il faudrait bien
quelqu'un pour les remplacer. Mais aucun navire siamois ne pouvait être
impliqué dans cette opération. On ne pouvait pas donner l'impression que le
gouvernement avait délibérément comploté pour mettre les Maures en accusation.
Ils étaient trop nombreux à occuper des postes importants. La chose devait se
faire comme par accident. Il fallait que l'on voie Phaulkon acheter les
marchandises au nom des Anglais pour les exporter jusqu'à leur comptoir de
Madras. Mais jamais vers la Perse. Au farang de se trouver un navire. S'il
voulait mettre ce projet à exécution, il devrait utiliser un vaisseau anglais
et trouver le moyen d'expliquer l'affaire à sa compagnie. Et si les Maures découvraient
que les Anglais venaient empiéter sur leurs voies commerciales traditionnelles,
qu'ils s'en arrangent avec eux! Le Siam aurait assurément tout intérêt à
assister en spectateur à l'affrontement et à voir saper peu à peu la puissance
des Maures. Quant aux autres farangs retenus à Ligor, en fait, pour des raisons
politiques, il avait déjà donné l'ordre de leur retour. Après tout, son
gouvernement avait invité la Compagnie anglaise à reprendre le commerce au Siam
et il n'aurait pas été convenable de garder en détention leur agent principal
sans pouvoir le justifier par une accusation officielle. Et s'il devait y en
avoir une, l'affaire se jugerait de toute façon à Ayuthia. Son regard revint à
Phaulkon.
« Si je vous comprends bien, monsieur Forcone, vous
aimeriez que je libère vos collègues et que je vous fournisse un navire ainsi
que toute une cargaison impayée pour que vous la revendiez en Perse. Y a -t-il
autre chose que je puisse encore faire pour vous? » fit le Barcalon d'un ton
ironique.
Phaulkon ne put réprimer un sourire. « Cela semble
en effet beaucoup demander, Excellence. Mais l'audace de
cet esclave n'est motivée que par sa ferme détermination de procurer les plus
grands bénéfices au Trésor de Votre Excellence. »
Le Barcalon continuait à l'examiner avec attention.
« Monsieur Forcone, je veux bien accepter de vous fournir
une cargaison, à condition qu'elle soit officiellement achetée par la Compagnie
anglaise pour être exportée vers Madras. L'affaire se fera officiellement au
Siam, mais Madras n'en sera pas nécessairement informé, si vous voyez ce que je
veux dire. En outre, il ne saurait être question de reconnaître officiellement
la moindre condition de crédit. Je vais également accepter de faire libérer vos
collègues et de les ramener à Ayuthia où ils resteront sous étroite
surveillance. Mais en aucun cas je ne vous fournirai un navire. » Il marqua un
temps. « Le gouvernement siamois ne se reconnaît aucun rôle dans cette
transaction : il
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