Le faucon du siam
était vrai, songea Sri. Cette fille était
absolument merveilleuse. En outre, elle était d'un caractère plaisant et
délicieusement naturel. Quel homme pourrait lui résister? Quant à Phaulkon,
avec l'appétit qu'il avait, il serait le dernier à la repousser.
Sunida n'avait pas l'air tout à fait convaincue. « Et je
vous rapporterai ici tout ce qu'il me dira ?
— C'est exact, ma chère. Tout.
— Pi Sri, lui dit Sunida débordant soudain
d'exubérance, c'est le premier jour où je me trouve dehors à Ayuthia.
Voulez-vous venir avec moi pour me montrer la ville? Je meurs d'envie de tout
voir. Ce n'est pas pareil quand on est toute seule. Et puis je suis sûre que je
me perdrais. »
Sri allait lui expliquer qu'elle ne pouvait pas se
permettre de perdre ses clients en s'absentant de son éventaire, mais
l'expression du visage de Sunida l'arrêta net. On y lisait un enthousiasme si
sincère que Sri n'eut pas le courage de refuser.
« J'en serais ravie, ma chère. » Elle se leva et, à
contrecœur, demanda à une voisine de surveiller son éventaire.
Perdu dans ses pensées, Phaulkon se dirigeait vers le
marché sans se soucier de l'agitation qui régnait autour de lui. Il avait
maintenant assez de preuves pour accuser les Maures. Tout ce dont il avait
encore besoin, c'était que Sri lui confirme qu'en décembre on ne trouvait nulle
part de mangues sur les marchés — même des fruits d'importation.
Il se dirigea vers son éventaire et fut surpris de le
trouver abandonné. Voilà qui ne ressemblait guère à Sri de laisser ses
marchandises sans surveillance. Elle n'était pas femme à abandonner le terrain
à la concurrence.
Il s'approcha de sa voisine, Maew, une brave femme dont
un côté du visage avait été ravagé par la petite vérole : elle avait eu de la
chance de survivre à cette terrible maladie, ce n'était pas fréquent. Il lui
avait souvent parlé lorsqu'il venait voir Sri.
« Où est Pi Sri? demanda-t-il.
— Vous venez de la manquer, Maître. Elle est partie faire
visiter Ayuthia à une amie. Une très jolie fille, d'ailleurs. »
Phaulkon sourit, même si, en son for intérieur, il était
déçu de n'avoir pas trouvé Sri au marché. Il se demanda vaguement pourquoi elle
s'en était allée à cette heure-là faire visiter la ville à une jolie fille.
Peut-être une parente, la beauté de la famille, avait-elle soudain débarqué?
« Dis-moi, Maew, y a-t-il des mangues en décembre? »
La question parut surprendre Maew. Le maître devait bien
le savoir : il était si intelligent.
«En décembre? Oh non, Maître, jamais. Les mangues
mûrissent à la saison chaude, pas avant mai. »
Phaulkon la remercia et retourna au ministère. Demain,
c'était son entrevue capitale avec le Barcalon. Il avait besoin d'être bien
préparé.
Le Barcalon tira une profonde bouffée de son nar-guilé et
observa Phaulkon depuis l'extrémité de la longue salle lambrissée du ministère.
Il était encore tôt et le soleil entrait à flots par deux grandes fenêtres
ouvertes sur un côté de la pièce. Plus tard, lorsque la chaleur deviendrait
accablante, on les masquerait par des tentures qui laisseraient passer l'air
mais non le soleil. Dans chaque coin, des esclaves agitaient de longs éventails
de bambou.
« Eh bien, monsieur Forcone, qu'avez-vous à m'annoncer,
ce matin? Quelque chose de nouveau, j'espère ? »
On sentait dans la voix du Barcalon un soupçon de
sarcasme. Ses esclaves le lui avaient confirmé : depuis près d'un mois
maintenant, le farang travaillait jusqu'à une heure avancée, mais il n'avait
encore rien découvert. Cela lui apprendrait à ne pas être aussi sûr de lui, ni
aussi rapide dans ses jugements. Les Maures ne seraient pas faciles à accuser :
le farang allait peut-être mieux comprendre pourquoi les autorités siamoises
n'avaient pas pu faire grand-chose pour les prendre sur le fait pendant tout ce
temps.
Devinant les pensées du Barcalon, Phaulkon se réjouissait
en secret de la surprise qu'il lui réservait. Toutefois, il s'efforcerait
d'éviter tout accent de triomphalisme et d'amoindrir ses propres mérites, ainsi
que l'exigeaient les bonnes manières.
« Puissant Seigneur, cet indigne esclave implore le droit
de présenter à Votre Excellence d'humbles preuves des méfaits des Maures. »
Le Barcalon haussa les sourcils.
« Vraiment ? Je vous écoute, monsieur Forcone.
— Puissant Seigneur, cet esclave indigne sollicite
la permission d'attirer l'attention de
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