Le faucon du siam
Votre Excellence sur certains documents
que j'ai ici.
— Vous pouvez approcher. »
Phaulkon rampa sur ses genoux et ses coudes, tenant dans
sa paume une épaisse liasse de papiers. Il s'était entraîné à cette acrobatie
chez lui, le soir précédent, avec ses esclaves, en utilisant une liasse de même
épaisseur. Il avançait avec lenteur mais comme il convenait. Le Barcalon le
regardait, un peu amusé par cet effort, mais sans aucune trace de moquerie.
« Moi, la poussière de vos pieds, je supplie Votre Très
Haute Excellence de me laisser présenter, d'une part, une liste des prix les
plus élevés demandés par les Maures pour chaque produit alimentaire acheté par
leurs soins et, d'autre part, une liste des prix les plus élevés enregistrés au
marché du matin pour ces mêmes articles. Dans tous les cas, les prix des Maures
sont supérieurs, et de façon importante. Votre Excellence remarquera que les
factures sont gonflées à intervalles soigneusement espacés, afin d'éviter que
l'on s'en aperçoive facilement, et que ces différences de prix coïncident avec
certaines obscures annotations en marge. Bien qu'elles soient illisibles,
celles-ci sont apparemment rédigées en malais. »
Un esclave rampa à sa rencontre avec un plateau d'argent
et soulagea Phaulkon de son fardeau. Il ne serait en effet pas convenable que
le farang remette ses papiers directement au Grand Pra Klang. La tête inclinée,
l'esclave apporta le plateau à Son Excellence. Le Barcalon prit les documents
et se mit à les parcourir.
« Excellence, j'ai pris la liberté d'insérer des bouts de
papier aux pages concernées », expliqua Phaulkon.
Le Barcalon étudia minutieusement le dossier pendant
quelque temps. Puis il demanda une plume d'oie, du papier gris et prit des
notes. Pour finir, il rassembla en une pile séparée les factures où les prix
différaient le plus des cours du marché. Un long moment s'écoula durant lequel
le Barcalon resta silencieux. Pendant ce temps, Phaulkon était resté prosterné,
tout au fond de la salle, à écouter son cœur qui battait à tout rompre.
Le Barcalon prit enfin la parole :
« Je constate que les Maures ont bel et bien réussi à
faire pousser des mangues en décembre. Bel exploit! »
Il se retourna et tira nerveusement sur son narguilé
comme pour calmer la colère qui montait en lui, puis son regard revint se poser
sur Phaulkon.
« Je dois vous féliciter, monsieur Forcone. Je me rends
compte que ceci est le fruit d'innombrables heures de travail : une entreprise
d'un extrême ennui. Sans doute attendez-vous quelque récompense. Et à juste
titre.
— Je ne demande rien de plus, Excellence, que de
rendre de nouveaux services à cette grande nation.
— Et je ne doute pas, monsieur Forcone, que vous songiez
à un domaine précis. »
Phaulkon réprima un sourire nerveux. Non seulement le
Barcalon devait connaître la nature de la requête qu'il allait présenter mais,
vraisemblablement, il avait déjà arrêté la réponse qu'il y apporterait. Bien
sûr, Son Excellence ne pouvait rien savoir du vaisseau de Sam White, ni des
vingt-sept jours qu'il restait à Phaulkon pour remplir ses cales d'une
cargaison destinée à la Perse. Il faudrait déjà douze jours pour transporter la
cargaison par terre d'Ayuthia jusqu'à Mergui : il n'en resterait donc que
quinze. Il devrait laisser Burnaby et Ivatt à Avuthia s'occuper des affaires de
la Compagnie britannique pendant que lui-même se rendrait en Perse. L'ordre de
les libérer mettrait dix jours pour arriver à Ligor et il faudrait encore dix
jours pour qu'ils reviennent ici par mer, à supposer que le gouverneur leur
prête son bateau et autorise aussitôt leur départ.
Il se tourna vers le Barcalon. « Moi, un cheveu, souhaiterais
montrer à Votre Excellence en quoi les Maures... profitent très sérieusement
de... des bonnes dispositions et de l'indulgence de votre gouvernement...
— Vous voulez dire, interrompit le Barcalon, en quoi
ils nous "volent comme dans un bois"?
— Si vous souhaitez le dire de cette façon,
Excellence.
— Je ne fais que vous citer, monsieur Forcone.
— En vérité, Excellence, je crois humblement que
c'est le cas.
— Et, insista le Barcalon, dans quel domaine vous
proposez-vous de dénoncer maintenant leurs détournements ?
— Excellence, je sollicite la permission de prendre
la tête d'une mission commerciale jusqu'en Perse. Inutile de le préciser, la
totalité des bénéfices ira
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