Le faucon du siam
hésitation.
« Ces hommes-là sont des marchands anglais, dom
Francisco. Nous autres musulmans, nous sommes aussi des marchands. Il y a entre
nous une méfiance réciproque. Mais vous êtes un prêtre : vous n'êtes donc pas
leur rival. À vous, ils confieront ce qu'ils ne nous diront pas. Quel mal y
a-t-il à connaître la destination d'un navire? Ce n'est qu'un petit secret
commercial, mais qui vous permettra de rebâtir votre église. Fini d'attendre
encore un an, ou peut-être deux, ou même davantage, pour que vos supérieurs
vous envoient les fonds nécessaires. Vous les aurez demain, dom Francisco, en
argent : dès que nous aurons la réponse. »
La réticence du prêtre s'évanouit. Demain? Demain, il
pourrait convoquer les ouvriers, les charpentiers, les maçons et les peintres
et, avec quinze taels à dépenser en deux semaines, il aurait une nouvelle
église. Peut-être même resterait-il de l'argent pour attirer de futurs
convertis? Car comment convertir les indigènes quand les murs de son église
s'écroulaient, que les plafonds se fissuraient, que portes et fenêtres étaient
maintenues en place par des cordes? La maison de Dieu, le seul vrai Dieu,
devait paraître propre, soignée et sainte.
Il bondit sur ses pieds avec une agilité surprenante pour
un homme de sa corpulence. « J'y arriverai. Faites-moi confiance. »
Luang Aziz sourit. « Je savais que je pouvais compter sur
vous, dom Francisco. Je reviendrai demain à la même heure. »
« Canot devant ! » cria la vigie. En l'absence du
capitaine White, il alla chercher le second pour lui annoncer l'arrivée d'un
visiteur. C'était un prêtre, tout seul dans un canot, qui demandait à parler au
capitaine en particulier.
« Eh bien, Simmons, lui as-tu indiqué que le capitaine
n'était pas à bord ? Le père le trouvera à terre.
— À vos ordres, monsieur. Mais, avec votre
permission, il a répondu qu'il voulait s'entretenir avec un officier qui se
trouvait à bord. »
Le second se pencha par-dessus le bastingage et jeta un
coup d'œil sur la petite embarcation. Le prêtre avait chaud, il était en nage :
il était venu tout seul sans l'aide d'un rameur. Cela faisait une bonne
distance depuis le rivage.
« Bon, Simmons, fais-le monter.
— À vos ordres, monsieur. »
Que pouvait bien vouloir à notre capitaine un de ces
prêtres catholiques ? se demanda John Ferries, le second. Les Anglais n'avaient
pas de démêlés particuliers avec le Portugal : alors, autant se renseigner.
« Bonjour, capitaine », dit le prêtre, essoufflé par
l'effort d'être monté à bord. Des taches sombres de transpiration
apparaissaient çà et là sur sa soutane brune. Il tenait à la main un petit
paquet. « Que Dieu soit avec vous, senhor. » Il parlait anglais mais avec
un fort accent.
« Mon Père, je ne suis pas le capitaine. Mais soyez tout
de même le bienvenu. On dirait qu'un peu de repos vous ferait du bien. Tenez,
suivez-moi. »
Ferries l'emmena dans une petite cabine de l'entrepont et
lui offrit un siège. Le prêtre avait l'air fatigué, épuisé même, et Ferries
s'apitoya quelque peu. Quel épouvantable climat pour passer ses jours à essayer
de répandre la parole de Dieu, songea-t-il. J'aime mieux que ce soit vous que
moi, mon Père.
« Eh bien, mon Père, que puis-je faire pour vous ?
— J'ai appris que vous alliez à Madras, senhor. Ma
sœur est religieuse là-bas. Je me demandais si vous voudriez avoir la bonté de
prendre ce paquet pour elle. Je ne sais pas quand passera le prochain navire à
destination de Madras, alors j'ai profité de l'occasion... »
Le second allait lui dire qu'ils n'allaient pas du tout à
Madras mais il se retint de justesse. Il accepta le paquet. Seigneur, j'ai
failli le lui dire, songea-t-il. « Je m'en chargerai avec plaisir »,
répliqua-t-il. La pauvre sœur ne risquait pas de voir ce cadeau de son vivant !
« Merci, senhor, et que les bénédictions de Dieu
soient sur vous. » Il s'arrêta, comme si une pensée lui venait soudain. «
Puisque j'ai fait tout ce chemin, senhor, je me demande si je ne devrais
pas donner les sacrements à vos marins originaires de Goa, s'il s'en trouve à
votre bord. Avec votre permission, bien sûr. » Il eut une œillade
bienveillante. « Ils font toujours du meilleur travail après avoir entendu la
parole de Dieu. » A coup sûr, il devait y avoir quelques marins de Goa parmi
l'équipage, ne serait-ce qu'un ou deux. La main-d'œuvre portugaise de Goa,
presque tous
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