Le faucon du siam
est leur
destination.
— Aziz est parti ce matin pour Mergui, Votre
Honneur. Il est allé chercher l'appui de la mission portugaise. Pour éviter que
l'on jase, il s'est caché sous un déguisement. » Iqbal Sind était le dernier
membre du Conseil à parler. Son grand nez crochu pointait de son visage comme
le bec d'un oiseau de proie.
« Faut-il faire confiance aux Portugais? demanda l'Oc-Ya
Tannaw d'un ton agressif. Ce sont également des farangs.
— Oui, Votre Honneur », répondit Iqbal Sind
embarrassé. Sa timidité démentait son aspect farouche. « Mais les Portugais
sont des chrétiens catholiques, les Anglais appartiennent à une autre secte et
ils ne voient pas tout du même œil. D'ailleurs, Votre Honneur, ce gros prêtre
portugais s'efforce désespérément de rebâtir son église et, ces temps-ci, ses
supérieurs de Goa ne se sont pas montrés très généreux. Nous avons donc
autorisé Aziz... » Il baissa les yeux sous le regard perçant d'Oc-Ya Tannaw.
« Oui, Iqbal, tu as autorisé...
— Aziz à donner son accord... à certaines...
contributions, Votre Honneur. Seulement, bien entendu, si les renseignements du
prêtre... justifient notre générosité », balbutia Iqbal.
L'Oc-Ya Tannaw grommela. « Des musulmans contribuant à la
rénovation d'églises chrétiennes ?» Il leva les yeux au ciel. « Qu'Allah nous
pardonne de tels péchés! Et qu'il sache au moins que c'est seulement pour la
protection de ses fidèles ! Allah Akbar.
— Allah Akbar, répétèrent-ils tous en chœur.
Dieu est grand.
— Eh bien, maintenant, mes frères, j'ai entendu vos
opinions. J'en conclus que, si ce prêtre des chrétiens nous informe que ces
marchandises sont destinées à être exportées vers la Perse, notre domaine
traditionnel, et non pas vers la factorerie anglaise de Madras, alors il faut
éliminer ce Phaulkon. On me dit qu'il parle couramment le siamois et le malais
et qu'il est habile et rusé. Un tel homme au service d'un mauvais maître
pourrait être dangereux. Nous allons le faire assassiner par les Macassars. Les
gardes du corps du prince Daï se feront un plaisir de se charger de cette
mission. Sommes-nous tous d'accord? »
Il y eut des murmures d'approbation.
Luang Aziz se pencha pour bien insister. « Comme je le
disais, dom Francisco, avec les bénéfices de l'opération votre église peut être
entièrement rebâtie. »
Une lueur fiévreuse s'alluma dans le regard du prêtre. «
J'ai votre parole en tant que membre du Conseil? s'assura-t-il.
— Vous l'avez.
— Et tout ce que j'ai à faire, c'est de vérifier la
destination de ce navire ? » Il désignait la baie où le grand navire marchand
oscillait doucement sous la brise.
Aziz acquiesça.
Le prêtre se gratta la tête. La chose lui paraissait trop
facile. « Et quelles raisons auraient-ils de ne pas me révéler sa destination?
— Ils vous indiqueraient peut-être une destination,
mais pas nécessairement la vraie.
— Et comment saurai-je si c'est la bonne ou non ? »
Il essuya sur son front une goutte de sueur. Ah, comme il voulait voir rebâtir
son église! À deux reprises il avait écrit à Goa et une fois même à 1 evêque de
Macao : on lui avait toujours répondu que l'on examinait l'affaire. Il devrait
se contenter de réparations provisoires en attendant l'approbation de ses
supérieurs. Son collègue de Ligor lui avait écrit pour
lui conter les mêmes malheurs. L'Eglise, semblait-il,
concentrait ses efforts — et ses fonds — sur les capitales et les dynasties
régnantes au détriment des pauvres provinces. Il secoua la tête et regarda
l'Indien planté devant lui. Les yeux sombres le fixaient, impassibles. Quelle
ironie qu'une aide lui vînt précisément des musulmans!
« Vous le saurez, dom Francisco. Vous trouverez bien
quelque chose. Il faut les prendre au dépourvu. » Aziz eut un sourire
encourageant. « Vous autres prêtres n'êtes pas à court de ruses.
— Et comment vous-même saurez-vous si la réponse est
exacte?
— Soyez-en assuré, dom Francisco, je le saurai. Vous
n'aurez qu'à me dire la vérité.
— Mais pourquoi moi ? N'avez-vous personne d'autre
qui puisse vous fournir ce renseignement? Quelqu'un de plus qualifié ? » Il fit
un dernier effort pour échapper à cette mission. L'affaire ne devait pas
s'arrêter là, il en était convaincu. Sans doute y avait-il autre chose qu'il
regretterait peut-être. Il était encore temps de refuser.
Luang Aziz perçut son
Weitere Kostenlose Bücher