Le faucon du siam
soleil par de luxueuses ombrelles,
était vide. Le siège était réservé pour le seul objet digne d'occuper la place
de Sa Majesté : la lettre de l'empereur de Chine. Gravée sur une feuille d'or,
la missive était en effet la parole royale de l'empereur en personne, plus
respectée que son ambassadeur qui, sur une embarcation de moindre importance et
avec un trône moins somptueux, n'en était que le messager. Dans la barque
royale, quatre mandarins siamois de premier rang restaient prosternés en
permanence à chaque angle de l'estrade, pour rendre hommage à la lettre.
De la jonque chinoise de tête, la lettre avait été
respectueusement transportée sur un plateau d'or jusqu'au trône installé sur la
barque royale de Siam : les honorables mandarins chargés de cette noble tâche
n'avaient pas osé toucher directement les paroles de l'empereur mais avaient
porté la lettre à bout de bras à l'extrémité d'un long manche doré, en
s'inclinant bien bas.
Sur les deux rives du large Menam Chao Phraya s'alignait
la population prosternée : des dizaines de milliers de gens, le visage dans la
boue, rendaient hommage à la lettre qui voyageait sur son trône d'or, dans sa
barque dorée propulsée par les cent vingt rameurs vêtus d ecarlate qui entonnaient
des chants. C'était comme si Sa Majesté elle-même se déplaçait. Sur le passage
de la procession, d'autres se prosternaient à leur tour dans les vingt mille
petits canots qui grouillaient le long de la rive.
En arrivant à Ayuthia, l'ambassade mit pied à terre pour
former l'imposant cortège qui allait se diriger vers le palais. On plaça la
lettre sur un trône en foime de pyramide dans le propre chariot du roi, tandis
que l'ambassadeur prenait place sur une chaise que soutenaient les épaules des
porteurs.
Des gardes armés de sarbacanes précédaient le cortège,
lançant des pois pour dégager le chemin. Les mandarins du royaume, vêtus de
leurs plus beaux atours et accompagnés d'une escorte d'esclaves, précédaient
l'ambassadeur, prenant la tête du cortège qui se dirigeait vers la salle
d'audience royale.
Des sentinelles et des éléphants somptueusement
caparaçonnés bordaient les deux côtés de la route jusqu'aux grandes grilles du
palais. Dans la première cour, un millier d'hommes armés étaient assis sur le sol.
En face d'eux, trois douzaines d'éléphants aux harnais vermillon s'alignaient
d'un bout à l'autre de la cour. Dans la seconde enceinte, cinq douzaines de
Maures barbus étaient assis bien droits sur leur selle, là main droite serrée
sur leur lance. Dans la troisième cour, sur tout le pourtour, soixante
éléphants de guerre harnachés d'or et des chevaux au plastron incrusté de
diamants étaient alignés, et deux cents gardes d'élite de Sa Majesté, les Bras
rouges, étaient accroupis, tenant solidement leur épée d'or.
Dans la quatrième et dernière cour, dont le sol était
couvert de magnifiques tapis persans et où seuls l'ambassadeur et son escorte
étaient admis, tous les mandarins de troisième, quatrième et cinquième classes
étaient prosternés et, séparés d'eux par quelques mètres, ceux de seconde
classe. Chacun portait son chapeau conique, le nombre d'anneaux et d'ornements
indiquant son rang, et chacun avait une boîte à bétel dont la taille précisait
sa position dans la hiérarchie de la Cour.
Au fond de la dernière cour s'ouvrait un escalier au pied
duquel se tenaient deux éléphants au poitrail complètement recouvert d'un filet
à mailles d'or et deux chevaux au harnais étincelant de diamants, de perles et
de rubis.
À cet endroit, l'ambassadeur, suivi de son interprète,
s'agenouilla et posa les mains sur le haut de son crâne en signe de respect
envers le roi. Puis il attendit d'être convoqué en présence de Sa Majesté. Le
Grand Maître des cérémonies annonça la convocation. L'ambassadeur souleva
jusqu'à ses genoux les pans de sa robe noire et or et gravit l'escalier pour
pénétrer dans la salle d'audience aux murs lambrissés. Là, on lui présenta les
plus hauts dignitaires du pays, les princes, les ministres et les mandarins de
première classe, soixante au total, qui attendaient dans un profond silence
l'arrivée du roi. Ils étaient allongés, prosternés par rangées de six de part
et d'autre du balcon où allait apparaître Sa Majesté.
L'ambassadeur rampa en avant et s'arrêta devant une table
sur laquelle était posée la lettre de son maître l'empereur, ainsi que
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