Le faucon du siam
préférée de son enfance. À l'exception de la multitude des servantes,
Maria était l'une des rares femmes à assister au banquet, et toutes étaient
d'origine étrangère.
De jeunes esclaves aux seins nus, les cheveux huilés et
parfumés pour la circonstance, déposèrent sur chaque table le premier des seize
plats, une soupe aux nids d'hirondelle, un mets fort prisé des Chinois.
« Quel heureux choix, mon cher ami », dit mestre Phanik,
jetant à la soupe un coup d'œil ravi tout en accueillant Phaulkon. « Nous en
exportons de grandes quantités vers la Chine, mais ils n'ont jamais l'occasion
de la goûter fraîche. Quelle belle idée ! Mais comment allez-vous, mon cher ami
? Asseyez-vous et reposez-vous un peu de toutes vos charges. Eh oui,
continua-t-il avec effusion, j'ai appris tout cela. Vous voilà responsable de
tout le service des Banquets, hum? Mohammed Rachid n'en est guère enchanté, je
puis vous le dire. »
Phaulkon sourit en s'inclinant devant Maria. « Tu es
absolument ravissante, ma chère. »
Il y avait dans le sourire de la jeune fille une certaine
froideur et il se demanda pourquoi.
« Vous nous avez négligés, oncle Constant, dit-elle avec
un soupçon de reproche dans la voix.
— Voyons, voyons, ma chérie, laisse oncle Constant
tranquille. Crois-tu qu'il ait suffi d'un moment pour préparer ce festin ? »
D'un geste large, il désignait la vaste salle de banquet.
C'était bien vrai, songea Phaulkon. Il avait passé des
jours en compagnie de Sri, à rechercher les meilleurs produits aux prix les
plus raisonnables et il en avait fait venir des douzaines des cités voisines
dont les spécialités étaient renommées. Il n'avait rien ménagé pour s'assurer
de la qualité des mets : et pourtant la dépense pour le Trésor était nettement
moins importante que pour aucune des réceptions précédentes.
Son plus beau coup, espérait-il, était de s'être ménagé
l'aide du père Morin, son ami jésuite qui avait une passion pour Dieu et la
bonne cuisine et qui était un remarquable chef amateur. Phaulkon avait obtenu
une dispense spéciale afin que le prêtre puisse avoir accès aux cuisines
royales. Lui-même n'y avait pas été autorisé. Morin avait surveillé la cuisson
à la broche de cinq cents jeunes perdrix de la province de Phit-sanulok :
Phaulkon espérait que ce mets délicat, mais qui n'était sans doute pas du goût
de tout le monde, ajouterait une touche d'exotisme aux quinze autres plats et
que les visiteurs venus de Chine seraient impressionnés par l'atmosphère
cosmopolite de la Cour siamoise. Il savait d'ailleurs que le Barcalon voulait
éviter tout effort concerté et trop évident visant à priver les Maures de leur
rôle traditionnel : les petits plats farangs contribueraient peut-être à justifier
sa désignation au service des Banquets.
« Vous avez deviné juste, mestre Phanik », dit
Phaulkon tandis que l'on déposait devant chaque invité deux œufs de caille dans
de petits bols d'or. « Tous les deux vous avez été souvent présents dans mes
pensées, mais je suis rentré chez moi chaque soir si épuisé par le travail de
la journée que mes serviteurs ont parfois dû me déshabiller alors que je
dormais déjà. »
Pourtant, vous auriez certainement pu trouver le temps de
nous rendre visite, ne serait-ce qu'une seule fois, songea Maria avec amertume.
Elle aurait voulu
aborder le sujet de cette Sunida et poser brutalement la
question à Phaulkon. Elle se dit que si son oncle n'avait pas été là, elle
l'aurait sans doute fait.
Phaulkon remarqua le pli qui barrait le front délicat de
la jeune fille. Qu'est-ce qui la trouble ? se demanda-t-il encore une fois.
« Ne faites pas attention à Maria, Constant. Elle est
encore jeune et s'imagine que le monde entier tourne autour de sa petite
personne. » Il se pencha derrière elle et murmura d'un ton de confidence à
l'oreille de Phaulkon : « Avez-vous remarqué l'absence de Chao Fa Noi ? On m'a
dit qu'il avait été flagellé par le général Petraja et qu'il est actuellement
entre la vie et la mort. De vous à moi, j'ai toujours soupçonné le général
d'avoir des visées sur le trône. Vous vous rappelez ? Vous l'avez rencontré
chez moi. Après tout, si les deux princes étaient éliminés et si la reine
princesse ne donnait pas d'héritier, qui accéderait au trône? Il semble
aujourd'hui que la princesse Yotatep, qui avait d'abord réclamé la peine de
mort pour le jeune prince, se montre
Weitere Kostenlose Bücher