Le faucon du siam
semblaient l'observer à travers leurs doigts
écartés.
Dans l'antichambre de Sa Majesté, son amant attendait.
Elle lut dans son regard l'horreur et le remords tandis que, d'un geste
solennel, il reprenait sa tunique et son chapeau des mains d'un des gardes et
tournait les talons. Accablée, elle le vit s'éloigner. Elle se retourna,
hésitante, et frappa à la porte de Sa Majesté.
Thepine s'éveilla en hurlant. Des tigres affamés et
grondants avaient bondi sur ses membres, lui dévorant d'abord les orteils, puis
les doigts et enfin les seins et le nez. Mais c'était un rêve. Elle s'était de
nouveau réveillée dans la sombre humidité du cachot. Malgré son épuisement,
elle essaya de rester éveillée. Tout faire pour éviter le retour du cauchemar.
Mais n'était-ce qu'un cauchemar, se demanda-t-elle, ou une vision prophétique
du sort qui l'attendait? La mort par le tigre. Elle frémit et se pelotonna sous
la mince couverture. Comme il faisait froid dans cette cave! Elle se rappela la
longue descente par les marches de pierre glacées jusqu'à des régions du palais
qui n'avaient été auparavant pour elle qu'un nom. Peut-être devrait-elle
réclamer une couverture plus chaude. Après tout, ces gens étaient des
bouddhistes : ils ne la lui refuseraient pas. Comment une plaisanterie aussi
innocente avait-elle pu tourner en un tel désastre ? se demanda-t-elle encore
une fois. Oh, Seigneur Bouddha, quel horrible sort à subir pour une simple
farce ! Mais non, ce n'était pas la plaisanterie que l'on punissait, se
dit-elle, c'était sa longue série d'infidélités au Seigneur de la Vie, la façon
dont elle avait trompé le maître à qui elle avait juré respect et obéissance.
Quelle douleur devait-elle maintenant causer à ce Seigneur qui s'était fié à
elle, qui l'avait honorée et qui lui avait témoigné une bonté sans faille ! Une
larme ruissela sur sa joue. Sa Majesté était peut-être forte comme un pilier,
mais elle n'échappait pas aux souffrances des mortels. L'énormité de son crime
s'abattit sur elle avec la violence d'un typhon. Qui, maintenant, allait la sauver?
Allait-on déclarer coupable son amant aussi? Allait-on les faire griller
ensemble à petit feu ? Cette chipie d'esclave avait sans doute tout raconté.
Oh, Seigneur Bouddha, faites que je puisse mourir maintenant, rapidement et
sans souffrance.
Le verrou glissa et un robuste garde en tunique rouge se
dressa sur le seuil. La lueur vacillante de sa torche faisait danser des ombres
dans le cachot humide aux murs de pierre menaçants. Il déposa devant elle un
bol de riz et de soupe.
«Quelle heure est-il, garde? Depuis combien de temps
suis-je ici ?
— C'est le soir de votre second jour, ma Dame. Vous
poussez souvent des cris dans votre sommeil. » Il s'inteirompit puis ajouta, en
guise de consolation : « Ce sera bientôt fini.
— Quel... quel doit être mon sort? As-tu appris
quelque chose ? »
Le garde hésita. Devait-il lui dire ce qu'il savait ? Il
n'y avait guère de secrets au palais. Peu de gens étaient autorisés à se rendre
dans le monde extérieur pour répandre une nouvelle, si bien que ceux qui
vivaient derrière ces murs épais semblaient, à titre de compensation, s'assurer
que les rumeurs parvenaient
bien jusque dans le moindre recoin, où elles trouvaient
toujours des oreilles attentives.
Il décida de lui répondre. Après tout, elle avait de
hautes relations : elle était en fait la sœur du général Petraja et, qui sait,
si jamais on lui pardonnait, une faveur pourrait être la bienvenue.
« Sa Majesté a réclamé de juger son frère, estimant ne
pas être assez impartiale. Elle a demandé à Son Excellence le général Petraja
de s'en charger. Pour vous aussi, ma Dame. »
Thepine sentit son cœur bondir. Petraja, qui était du
même sang qu'elle ! Il ne voudrait pas voir sa sœur dévorée par des tigres. Et
combien de fois n'avait-elle pas plaidé elle-même sa cause auprès de Sa
Majesté, attirant sans cesse sur lui l'attention du roi, jusqu'au jour où le
souverain avait fini par le nommer président du Conseil privé?
« Son Excellence le général a déjà décrété la peine de
mort pour Son Altesse Royale. » Le garde marqua un temps. « A coups de bâton,
bien sûr. » On allait le coudre dans un sac de velours rouge, comme l'exigeait
la tradition, et l'assommer à mort avec une matraque en bois de santal. Thepine
sentit ses espoirs s'anéantir. Pourquoi son frère avait-il condamné
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