Le faucon du siam
les
divers cadeaux apportés pour Sa Majesté de Siam, disposés dans une grande
bassine d'or.
Une sonnerie de trompette, un fracas de cymbales : le
Seigneur de la Vie apparut au balcon à quelque trois mètres au-dessus du
plancher de la salle d'audience. Pas un homme, pas même l'ambassadeur n'avait
la permission de lever les yeux pour le regarder.
De chaque côté de lui, huit parasols d'or montaient en
gradins jusqu'au plafond. D'un seul geste, les mandarins prosternés se jetèrent
à genoux et touchèrent le sol de leur front, répétant par trois fois ce salut.
Puis l'assistant du Barcalon lut une traduction de la lettre préalablement
rédigée en siamois, tandis que Sa Majesté et la Cour écoutaient en silence.
La lettre évoquait la grande amitié que l'empereur
portait à son cousin du Sud et le mettait en garde contre les ambitions et
l'influence pernicieuse des étrangers qui cherchaient à s'installer dans leurs
deux royaumes. L'empereur promettait de soutenir son estimé cousin et lui
enjoignait de résister devant l'adversité. L'empereur priait en outre Sa
Majesté de Siam de lui envoyer des émissaires pour le tenir au courant de la
situation dans son pays.
La lecture terminée, Sa Majesté ordonna que l'on plaçât
la lettre dans les archives royales et s'adressa au Barcalon, demandant
poliment des nouvelles de la santé de l'empereur et des membres de sa famille.
Le Barcalon transmit la question du roi à l'interprète, qui la traduisit à
l'ambassadeur. Les questions et les réponses suivirent le même protocole : on
s'assurait ainsi que jamais Sa Majesté ne fût obligée de s'adresser à quelqu'un
de rang aussi inférieur qu'un interprète.
Les paroles de politesse une fois prononcées, Sa Majesté
offrit à l'ambassadeur une boîte à bétel en or et une veste de brocart de la
plus belle qualité, pour souligner l'importance du pays qu'il représentait.
Puis, de nouveau au son de la trompette et des cymbales, le roi se retira et
les mandarins, toujours tournés vers le balcon où Sa Majesté était apparue,
rampèrent respectueusement à reculons et se dispersèrent.
Les hôtes étaient assis en tailleur devant de petites
tables basses, chacune omée d'un vase de fleurs en argent. Phaulkon chercha mestre Phanik : celui-ci lui avait envoyé un messager afin de lui demander
de s'asseoir près de lui au banquet s'il en avait l'occasion. Remerciant le
Ciel de la précision de l'étiquette siamoise, Phaulkon, penché en avant,
traversa toute la cour jusqu'à l'endroit où mestre Phanik était installé
avec d'autres invités d'origine étrangère. Sinon, comment faire asseoir deux
mille personnes à la place qui leur convenait? Heureusement, en vertu de la
préséance fixée par la hiérarchie, chaque invité savait quelle était sa place.
Ni Sa Majesté, ni la princesse Yotatep, la reine
princesse, n'étaient présentes : le premier parce que les rois n'assistaient
pas à des réceptions publiques où il leur était difficile de prendre leur repas
dans une position surélevée et tout aussi gênant pour les invités obligés de
dîner prosternés. La seconde, parce que les reines ne se montraient pas en
public. Chao Fa Apai Tôt présidait le banquet, son œil gauche par moments agité
d'un tic, et son visage crispé en une hideuse grimace chaque fois qu'il
essayait de sourire. A sa droite était assis l'ambassadeur décoré d'un collier
de fleurs de mali et, à sa gauche, le Pra Klang en grande tenue. Venaient
ensuite les princes royaux des États vas-
saux : Cambodge, Laos, Chiang Mai, Kedah et une foule
d'autres ; certains s'étaient spontanément placés sous la protection du roi,
tandis que d'autres avaient été faits prisonniers au cours d'une guerre et
ramenés à Ayuthia où on les laissait savourer — mais en exil — les privilèges
de leur rang royal. Chacun avait, disposée sur une petite table devant lui, sa
propre coupe d'or et d'argent offerte par le roi et qui était la marque de
dignité de son possesseur. Puis venaient les cinq classes de mandarins en ordre
décroissant, les premiers étant les plus proches des princes royaux et ceux du
cinquième rang les plus éloignés.
Phaulkon aperçut mestre Phanik et, à côté de lui,
sa nièce Maria. Elle était resplendissante dans un kimono de cérémonie japonais
bleu azur, avec des fleurs plantées dans son chignon. Malgré la différence
évidente de sa tenue, elle lui rappela de nouveau la Diane chasseresse, la
statue
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