Le faucon du siam
Et à qui donc
faites-vous allusion, mon Seigneur? À l'espionne, peut-être ?
— Notre intermédiaire avec le Palais, Maria, dit-il,
en l'incluant habilement dans son projet. Songe quel atout elle représentera
pour nous : elle fournira au Palais toutes les informations que nous souhaitons
y faire parvenir. Cela est sans prix. »
Il se leva, apparemment plein d'enthousiasme et lui prit
les mains. « Quelle carte maîtresse pour un homme qui aspire à occuper un jour
le poste de Barcalon ! »
Il trouva ses mains froides et inertes et vit un pli lui
barrer le front. Elle le regarda droit dans les yeux.
« Mais maintenant, mon Seigneur, vous êtes un mandarin.
Vous avez déjà l'oreille du roi et l'espionne a rempli son office. Pourquoi
avez-vous besoin d'elle?
— Il est des choses que je peux lui suggérer et qui
sont difficiles à exposer directement à Sa Majesté. Des plans et des projets
dont je peux semer la graine. Des idées que Sa Majesté pourrait secrètement
adopter sans souhaiter reconnaître que je les lui ai soufflées. Tiens, si Sa
Majesté les trouvait à son goût, elle pourrait tout simplement les faire passer
pour siennes. » Il s'interrompit, plongé dans ses réflexions. « Les
possibilités, Maria, sont infinies, tout comme les avantages.
— Peut-être des avantages pour vous sur le plan
politique, mais des tortures pour moi sur le plan affectif. Que pensez-vous que
j'éprouverais chaque fois que vous iriez la voir pour lui transmettre vos
renseignements? » Elle secoua la tête. « Non, mon Seigneur, dans ce cas mon
cœur doit avoir la préséance sur vos ambitions.
— Même si cet arrangement n'est rien de plus qu'une
convenance politique? »
Maria le considéra d'un air sceptique. « Comment
pensez-vous expliquer votre soudaine abstinence devant une telle tentatrice?
demanda-t-elle.
— Par mon mariage avec toi. »
Maria pouffa. « Oh, voyons, mon Seigneur. Elle est
bouddhiste. Elle ne pourrait ni comprendre ni respecter pareille opinion. Elle
vous séduira de nouveau, comme on lui a donné mission de le faire.
— Tu ne penses pas que je sois capable de lui
résister?
— Je n'en sais rien, mais il ne serait pas sage
d'exposer à pareille tentation un converti de si fraîche date. Il vous faudra
du temps pour vous habituer aux joies d'appartenir à une seule femme, mon
Seigneur. »
Phaulkon sentit monter en lui la colère, renforcée par le
manque de sommeil. L'obstination de Maria l'irritait. Elle venait s'interposer
entre lui et ses projets. Même sans rien savoir de son amour pour Sunida, elle
n'entendait pas le laisser poursuivre sa carrière. C'était de l'égoïsme pur et
simple. Elle le contraignait à recourir à des subterfuges. Il était de plus en
plus clair qu'elle n'accepterait à aucun prix la présence de Sunida et il
maudit sa malchance. Était-ce un nouvel obstacle dans une série ininterrompue
de revers ? Tout ne serait-il donc pour lui que contrariétés successives ?
Non, il ne renoncerait pas à Sunida. Les Hollandais
allaient envahir le Siam. Le roi n'écoutait pas ses requêtes. Ses plans
pouvaient à tout instant se retourner contre lui. Et voilà que cette jeune
personne, à peine sortie du couvent, venait contrecarrer ses projets et lui
poser des questions de moralité chrétienne.
Au milieu des vastes projets qu'il nourrissait, c'étaient
là des considérations mesquines et triviales. Même s'il n'avait pas aimé
Sunida, se dit-il, il aurait insisté pour qu'elle reste.
Il se tourna vers Maria, impitoyable.
« Il semble, madame, que vous souhaitiez faire passer vos
considérations morales avant la réussite de ma carrière.
— Je regrette que vous voyiez les choses ainsi, mon
Seigneur. J'espérais plutôt que le supplément d'énergie que je vous apporterais
sur le plan politique ferait plus que compenser la perte de votre espionne. Il
serait en effet de mon devoir de mettre toutes mes ressources au service de
votre carrière.
— De toute façon, je n'en attendais pas moins de
vous, reprit-il d'un ton hautain.
— Je vois, mon Seigneur, que cette discussion nous
entraîne vers une pénible confrontation.
— Ce sont pour moi des minutes éprouvantes, Maria,
et tu as choisi un mauvais moment pour te dresser contre moi. » Un bref
instant, saisi par la frustration qu'il sentait monter en lui, il songea à
énumé-rer les conséquences du refus de Maria de l'épouser : pas de coopération
de la part des Jésuites, pas de traité
Weitere Kostenlose Bücher