Le faucon du siam
la destruction de la factorerie anglaise à
Ayuthia. Il avait compté sur une traduction des accusations officielles
prononcées par le Barcalon contre Potts. Madras croirait évidemment à la
version de Potts, mais cela aurait représenté tout de même une contre-attaque,
alors qu'un silence total revenait presque à avouer qu'il était coupable d'un
grave crime. Madras ne manquerait pas d'expédier un navire pour l'arrêter.
Quand cela se produirait, Phaulkon aurait besoin d'être solidement retranché au
Siam et d'y avoir une position solide.
Mais ce qui le troublait peut-être le plus, c'était la
question de son mariage imminent. Ce matin même, Maria devait lui rendre
visite. Le billet qu'elle avait envoyé annonçait qu'elle avait « fouillé les
recoins de son âme » et qu'elle était prête à venir l'affronter dans son «
antre de débauche ».
Depuis quelque temps il comptait aborder le sujet avec
Sunida, qui n'était toujours au courant de rien, mais il avait consacré toute
son énergie à essayer de communiquer avec le roi. Et voilà que Maria serait ici
dans quelques heures à peine.
« Pensez-vous encore à Pieter, mon Seigneur ? fit la
douce voix de Sunida dans l'obscurité.
— En partie. » Il lui avait maintes fois parlé du
départ de Pieter et des inquiétudes que cela lui inspirait, dans l'espoir que
le message parviendrait aux oreilles du roi, mais il ne pouvait pas mentionner
directement devant Sunida le traité avec la France. Ce ne serait guère
convenable pour un mandarin récemment nommé de discuter d'affaires d'État aussi
confidentielles avec sa concubine. « Ce n'est pas tout, ajouta-t-il.
— Dites-le-moi, mon Seigneur. Cela vous soulagera. »
Le moment était venu d'évoquer le mariage. Cela faisait
trop longtemps qu'il remettait la chose à plus tard. D'ailleurs, il fallait
préparer Sunida à la visite de Maria ce matin.
« Sunida, il y a quelque chose dont je voulais discuter
avec toi.
— Mon Seigneur? »
C'était étrange de parler ainsi dans le noir, sans
apercevoir de visage, juste avec les mots.
« Sunida, je vais me marier. »
Un silence.
« Ai-je manqué à mes devoirs envers vous, mon Seigneur? »
Elle allait retirer son bras, mais il la retint et le reposa sur sa poitrine.
« Bien au contraire, Sunida. Je n'ai jamais été plus
heureux de ma vie. Et je t'aime plus que jamais. »
Nouveau silence.
« Qui est-elle, mon Seigneur?
— Elle est... je suppose que je l'appellerais une
farang. En esprit, du moins, même si elle est en partie japonaise et
chrétienne. »
Il sentait son cœur battre très fort. Il aurait voulu
pouvoir lire sur le visage de Sunida.
« Mais ces chrétiens... ils ne permettent qu'une épouse ?
»
L'angoisse qu'il percevait dans sa voix lui fit mal.
« Sunida, je n'ai pas la moindre intention de te laisser
partir. »
Il sentit son soulagement. Son bras se détendit.
« Alors, elle va m'accepter, cette... femme farang? »
Malgré son acquiescement apparent, il y avait une note de défi dans sa voix.
« Je n'en suis pas certain, Sunida. Mais nous essaierons
ensemble de la persuader. J'aurai besoin de ton aide.
— Vous pouvez assurément compter dessus, mon
Seigneur », répondit-elle. Elle s'interrompit et il crut presque sentir le
tumulte de ses pensées. « Ce n'est pas parce que vous êtes lassé de manger le
même riz chaque soir, n'est-ce pas, mon Seigneur? »
Il ne put s'empêcher de rire. Depuis qu'elle était
revenue de Mergui, chaque nuit il lui avait fait l'amour, même lorsqu'il était
fatigué. Son désir pour elle semblait ne jamais s'éteindre. Il négligeait
totalement ses trois esclaves et ne les avait pas convoquées une seule fois
depuis que Sunida était venue s'installer chez lui. Non pas que celle-ci eût le
moins du monde protesté contre leur présence : simplement, il n'avait pour
elles aucun désir.
« Quand la récolte de riz est la meilleure, Sunida,
pourquoi un homme voudrait-il essayer d'autres variétés ?
— Peut-être le riz farang a-t-il plus de goût,
répon-dit-elle.
— Sunida, il s'agit d'un mariage de convenance et
non pas de cœur.
— Vous voulez dire : comme nos rois qui épousent des
filles de rois birmans?
— C'est exactement cela, Sunida. Une union
politique, pour le bien du Siam. J'essaierai de te l'expliquer. Mais ce que je
vais te dire est confidentiel. Vois-tu, il y a une semaine, je me suis converti
à la foi de ma naissance, afin de mieux servir le Siam. Je suis
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