Le faucon du siam
planta sur le seuil,
la tête haute.
Ce fut aussitôt le silence. Phaulkon la dévisageait d'un
air incrédule et la jeune fille farang semblait stupéfaite.
Sunida salua respectueusement Phaulkon puis s'approcha
lentement de Maria qui s'était levée. Elle avait presque une tête de plus que
Maria. Elle lui adressa un tendre sourire puis la salua aussi respectueusement.
Cette petite farang, songea Sunida, était assurément jolie et elle avait la
peau bien claire, comme le lotus blanc en fleur. On aurait dit que toute sa vie
elle avait fui le soleil. Elle était menue, paraissait plutôt fragile, mais
était bien proportionnée et l'on retrouvait son sang asiatique dans ses
pommettes saillantes, ses yeux légèrement bridés et ses cheveux d'un noir de
jais. Pourquoi veux-tu me priver de mon bonheur quand je ne cherche pas à te
prendre le tien ? se demanda Sunida.
Maria soutint le regard de la Siamoise qui sentait celui
de Phaulkon fixé sur elle : Sunida l'évita soigneusement. Il était maintenant
trop tard pour battre en retraite et, de toute façon, elle avait une tâche à
accomplir.
« Ma Dame, je suis Sunida, dit-elle en s'inclinant encore
une fois devant Maria. Je suis venue présenter mes respects à la future
première épouse du maître. »
Maria la dévisagea un moment sans rien dire, la toisant
en silence. « Ma Dame, je ne suis pas la future première épouse du maître. Si
nous étions mariés, je serais simplement son épouse. » Elle s'était exprimée
poliment en siamois, mais avec un rien de condescendance.
Phaulkon eut un regard inquiet. Quelle mouche avait piqué
Sunida? Il lui avait dit de ne pas se montrer. Et si Maria révélait soudain
qu'elle était au courant du rôle d'espionne de Sunida? Il fallait séparer ces
deux femmes avant que ne surviennent des dommages irréparables.
« Sunida, je suis heureux que tu sois venue. J'allais
commander quelques rafraîchissements. Voudrais-tu nous faire servir du thé, je
te prie. »
Sunida sentit l'agacement dans le ton de son maître. Elle
n'allait pas l'irriter davantage, mais du moins allait-elle déclarer ce qu'elle
était venue dire. « Je reçois vos ordres, mon Seigneur. J'ai entendu des éclats
de voix et j'ai cm que vous m'aviez peut-être appelée. » Elle se tourna vers
Maria. « Je suis honorée, ma Dame, d'avoir fait votre connaissance et d'avoir
eu l'occasion de vous assurer que vous pourrez en tout temps compter sur ma
loyauté et mon obéissance.
— Je te remercie, répondit Maria d'un ton guindé,
mais je ne pense pas avoir besoin ni de l'une ni de l'autre. »
Se courbant bien bas, Sunida sortit à reculons, sans oser
lever les yeux vers son maître. Ça n'allait pas être chose facile que de faire
changer d'avis à cette fille entêtée, songea-t-elle en refermant la porte
derrière elle.
Maria se tourna aussitôt vers Phaulkon. « Quelle
prétention, mon Seigneur, de la part de cette fille. Je suppose que c'est de
l'ignorance. Peut-être avez-vous manigancé ce petit épisode pour me faire éprouver
la docilité de votre concubine?
— Mes fiançailles, Maria, ne sont pas un secret.
Sunida n'a pas l'impression d'avoir quelque chose à cacher. Elle venait
simplement te présenter ses respects traditionnels.
— Les respects traditionnels d'une concubine, mon
Seigneur? interrogea Maria d'un ton amer.
— On l'a envoyée pour m'espionner et cela sert tout
à fait mon propos. C'est à cela, je te l'ai dit, que se bornent nos relations.
— Alors, mon Seigneur, je crois malheureusement
qu'il va vous falloir choisir entre votre carrière et moi. » Maria leva les
yeux vers lui, la voix vibrante de colère. « Même si elle n'était pas aussi
terriblement séduisante, je ne voudrais pas partager ma maison avec une femme
qui espionnerait ouvertement mon mari. Songez-y, mon Seigneur. » Elle tourna
les talons. « Je vais prendre congé avant qu'elle ne revienne m'assurer encore
une fois de son dévouement. Vous devriez prendre le thé avec elle plutôt
qu'avec moi : je suis certaine que vous aurez de nombreux sujets de discussion.
— La raison de votre intransigeance n'est
malheureusement pas une chose qu'elle pourrait comprendre.
— Discutez donc avec elle de la question de son
départ. Car c'est alors seulement, mon Seigneur, que j'accepterai de devenir
votre épouse dévouée.
— Madame, vous me demandez plus que je ne puis
donner. »
Samuel Potts atteignit Mergui peu avant la tombée de la
nuit : même
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