Le faucon du siam
de nouveau
catholique. Tu aurais bien ri, Sunida. Les pères m'ont baptisé en compagnie de
quatre bébés siamois hurlants dans la petite chapelle de Sainte-Marie.
— Baptisé, mon Seigneur?
— Oui : c'est quand on vous met tout nus dans un
bassin rempli d'eau bénite.
— On vous y a mis avec les autres bébés, mon
Seigneur? » Sunida était stupéfaite.
Phaulkon éclata de rire. « Dans mon cas, j'étais trop
grand : alors ils m'ont simplement aspergé d'eau bénite.
— Et maintenant, mon Seigneur, vous avez une autre
foi?
— Pas vraiment. C'est difficile à expliquer. Je suis
toujours chrétien, mais de secte différente. »
Sunida restait silencieuse. Il la sentait troublée. Il
allait devoir lui exposer au moins en partie la situation. Il voulait qu'elle
comprenne et il avait besoin que le roi connaisse ses raisons.
« Il est politiquement opportun en ce moment pour le Siam
de conclure une alliance avec un puissant pays farang dont le roi est un
fervent catholique. Une telle alliance est importante car elle pourrait
dissuader les farangs hollandais des desseins qu'ils ont sur le Siam. Le
Seigneur de la Vie a été assez magnanime pour me confier un petit rôle dans
cette affaire, mais la position du Siam serait nettement améliorée aux yeux de
ce puissant monarque farang si j'étais moi-même un catholique marié à une
épouse catholique. » Il marqua un temps. « Elle s'appelle Maria, Sunida. C'est
quelqu'un de bien, et je la respecte. Mais je ne peux pas l'aimer comme je
t'aime.
— Je suis heureuse pour vous, Maître, fière de votre
rôle, et je recevrai cette personne avec tous les honneurs dus à une première
épouse. »
Phaulkon était touché. « Je savais que tu comprendrais,
Sunida.
— Mais vous n'allez pas me congédier. Car moi aussi,
mon Seigneur, je vous aime, et j'ai peur que mon cœur ne se brise si nous
sommes séparés.
— Je ne te congédierai jamais, Sunida. Et ensemble
nous trouverons un moyen de convaincre Maria.
— Et Ut, Nid et Noi? demanda-t-elle, soudain
inquiète pour les trois esclaves. Est-ce que la dame farang ne va pas vouloir
également les congédier? Elles sont si heureuses dans cette maison que je ne
vois pas comment même le Dieu chrétien pourrait s'en offenser.
— Je crains bien, Sunida, d'être obligé de les
congédier. Il me faut faire certaines concessions. »
Sunida garda le silence : il la sentait malheureuse pour
elles.
« Pauvres filles ! Elles me disaient encore l'autre jour
quelle chance elles avaient d'avoir trouvé un maître aussi bienveillant. Elles
espéraient pouvoir rester ici pour la vie. »
Phaulkon était triste. Il regrettait qu'elle le lui eût
dit. Il avait acheté ses trois esclaves et, même s'il avait le droit de les
revendre, il y répugnait. Et si leur nouveau maître ne les traitait pas bien ?
Puis une idée lui vint qui le ragaillardit : il allait les offrir à Ivatt.
Ivatt était de plus en plus attaché au Siam et il se familiarisait avec les
mœurs du pays. Il apprenait la langue et était très populaire auprès des
indigènes. Phaulkon était certain que non seulement Ivatt serait ravi de ce
cadeau mais qu'il était tout prêt à l'accepter. Phaulkon l'avait envoyé trois
jours auparavant attendre l'arrivée de White à Mergui : dès son retour il lui
offrirait les filles.
« Mais comment allez-vous pouvoir me garder, moi, mon
Seigneur? » reprit Sunida d'une voix où perçait l'inquiétude.
Allongé sur le dos, il regardait le noir au-dessus de
lui. Il attira Sunida contre lui et lui posa la tête sur son épaule. Il ne
pouvait tout de même pas lui avouer que son rôle d'espionne était prétexte à la
garder près de lui. « Je trouverai un moyen, Sunida, même si je dois te
déguiser en cuisinière. Maria ne sait pas à quoi tu ressembles : alors mieux
vaut que tu ne te montres pas quand elle viendra.
— Une cuisinière, mon Seigneur? rétorqua-t-elle avec
un certain courage. Vous comptez être le premier mandarin à passer du temps aux
cuisines ? » Il devinait son sourire dans l'obscurité. Un flot de tendresse le
submergea. Toute autre femme aurait très mal pris cette suggestion.
« Sunida, s'il était question de te perdre, je
renonce-rais tout à la fois à l'alliance politique et au mariage. C'est dire à
quel point tu comptes pour moi.
— Je vous en remercie, mon Seigneur, mais je ne
voudrais pas porter la responsabilité d'une telle décision.
— Ce ne serait pas toi, Sunida.
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