Le faucon du siam
réception du
gouverneur? demanda sèchement Burnaby.
— À en juger par votre tenue, Richard, je ne pense
même pas que vous soyez invité », lança Ivatt d'un ton railleur.
Phaulkon regarda Bumaby. C'était vrai. On ne lui avait
même pas donné une chemise de mousseline : il n'avait qu'une écharpe autour des
épaules, comme celle que portaient en général les femmes. Puis il comprit.
Burnaby avait plus de six pieds de haut. On n'avait tout simplement pas pu trouver
de vêtements assez grands pour lui. « Peu importe, déclara Phaulkon, vous allez
venir avec nous. Nous expliquerons que vous avez perdu vos bagages.
— Ça va être une réception à tout casser, dit Ivatt.
Quelqu'un m'a prêté sa tunique brodée d'or. Juste à ma taille. Je voulais la
porter tout de suite, mais mon esclave n'a pas accepté. Ce doit être pour plus
tard. » Il se leva soudain. « Toute cette conversation me donne envie de me
soulager. Où me conseilleriez-vous d'aller? » Phaulkon le vit lorgner un des
vases Ming du gouverneur et s'empressa de le pousser dehors. Il n'y avait pas
trace de serviteur nulle part.
Ivatt descendit les marches et, sans même avoir à baisser
la tête, s'avança sous le plancher surélevé de la salle d'audience où ils
étaient assis.
Au même instant, le Palat arriva, flanqué du jeune
interprète malais. Il s'apprêtait à monter les marches quand il aperçut Ivatt
debout sous le plancher et nu depuis la taille. Il regarda avec stupéfaction le
petit homme lever les yeux, faire un bond et pousser un hurlement de frayeur.
Aussitôt des serviteurs jaillirent de partout. Phaulkon
qui descendait les marches faillit heurter le Palat. Burnaby clopinait derrière
lui.
À la vue du Palat, serviteurs et esclaves se
prosternèrent et tous les regards se tournèrent vers Ivatt.
Le petit homme, encore à demi dévêtu, braquait un doigt
devant lui en répétant sans cesse : « C'est le géant à la barbe rousse ! Le
monstre que j'ai vu dans l'eau, la main tendue! »
Voyant tous les regards fixés sur lui, Ivatt rajusta tant
bien que mal son panung tandis que l'apparition à la barbe rousse sortait de sa
cachette et se déployait de toute sa hauteur, visiblement gênée.
« Joop Van Risling, chef de factorerie de la Compagnie
royale hollandaise à Ligor. À votre service, mijn lieeren, dit-il en
s'adressant à l'assemblée en général avec un fort accent hollandais. J'attends
mon tour pour m'entretenir avec Son Excellence. »
Phaulkon éclata de rire, le Palat l'imita poliment et le
reste des esclaves s'empressa d'en faire autant.
Sur ces entrefaites, le Seigneur de la Province, le Pu
Samrec Rajakara Meuang, fit son entrée et, à l'exception du Hollandais, ceux
qui n'étaient pas encore prosternés se plaquèrent aussitôt au sol et chacun se
figea sur place.
Le mandarin promena longtemps son regard autour de lui et
l'arrêta sur les nouveaux venus. L'un d'eux était prosterné dans la position
correcte, le front touchant le sol. Il en fut tout à la fois surpris et ravi.
Il remarqua aussi que cet homme avait des cheveux noirs raides et normaux. Un
autre, un géant plus âgé aux cheveux jaunes, s'était également prosterné, mais
un peu plus difficilement que le premier : c'était celui qui s'était blessé au
pied. Le troisième homme, de taille normale, faisait de ridicules efforts pour
nouer son panung, mais du moins s'efforçait-il de se montrer courtois. Le
gouverneur surprit le regard du Hollandais et se tourna vers les autres farangs
comme pour montrer que malgré tout certains pouvaient se comporter comme des
gens civilisés.
Phaulkon remarqua que le gouverneur semblait mal à l'aise
: il constata que le grand Hollandais était toujours debout, dominant d'une
tête le mandarin.
Bien qu'il sût qu'il ne devait pas parler avant le
Seigneur de la Province, Phaulkon se hasarda à faire une entorse au protocole.
« Heer Van Risling, dit-il rapidement au Hollandais, mon chef, M.
Burnaby, de la
Compagnie anglaise des Indes orientales, est honoré de
rencontrer son célèbre homologue hollandais. Il s'est malheureusement blessé au
pied et est donc incapable de se tenir debout. Mais il vous serait
reconnaissant de bien vouloir vous asseoir pour lui parler. » Était-ce le ton
flatteur ou la facilité inattendue avec laquelle Phaulkon s'exprimait en
hollandais, mais le stratagème eut l'effet désiré. Le gros Hollandais se posa
sur l'herbe auprès de Burnaby et, sans s'être prosterné, du
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