Le faucon du siam
sourire
satisfait.
— Je me rappelle en effet : vous commerciez avec le
roi de Bantam et, l'instant suivant, il était votre vassal. »
Le vaste réseau de comptoirs des Hollandais n'avait pas
son pareil. Les Espagnols, affaiblis par la défaite de leur Armada que leur
avait infligée Drake, étaient accaparés par les Philippines. La puissance du
Portugal déclinait. Les Anglais étaient occupés à développer leur commerce avec
l'Inde. Et jusqu'à maintenant les Français avaient concentré leurs efforts sur
l'Afrique.
« Avez-vous aussi appris le malais pendant que vous étiez
là-bas? demanda innocemment le Hollandais.
— Guère plus de deux mots, répondit sans vergogne
Phaulkon. La plupart de mes amis étaient Européens. » Il savait que, quand le
mandarin serait arrivé, la conversation passerait alternativement du siamois au
malais et il voulait faire semblant d'ignorer les deux langues.
« Mais vous n'êtes pas anglais, heer... Phaulkon,
c'est bien ce que vous avez dit? » Le Hollandais l'observa. Il n'avait pas le
type anglais : plutôt méditerranéen, et hâlé. Un peu plus grand peut-être que
les gens du Sud en général.
« Non, je suis grec, mais je travaille pour les Anglais
depuis l'âge de neuf ans. Alors, aujourd'hui, je suis probablement davantage
comme l'un des leurs, dit-il avec un sourire.
— Un Grec ? Vous êtes le premier que je rencontre
dans ces régions. Les deux autres, demanda-t-il en se tournant vers Ivatt et
Burnaby, ils sont anglais tous les deux?
— J'espère que tous les deux vous dites des choses
aimables à notre sujet », dit Ivatt s'apercevant qu'ils les regardaient. Ni lui
ni Bumaby ne comprenaient le hollandais.
« Oui, dit Phaulkon répondant à la question du
Hollandais, nous appartenons tous à la Compagnie des Indes orientales, heer Van Risling.
— Vous voulez dire la Compagnie anglaise ? Il faut
préciser, heer Phaulkon. Comme vous le savez, il existe une Compagnie
hollandaise des Indes orientales et une Compagnie française aussi. Dans cette
région, la véritable Compagnie des Indes orientales, c'est la hollandaise.
— Pour le moment peut-être, mijn heer. Mais
rien ne dure éternellement. Regardez ce qui est arrivé aux Portugais. Il y a
cent cinquante ans, qui ne les aurait pas crus invincibles ? »
C'était vrai. Les industriels hollandais avaient inversé
le courant. Dès 1630, les Hollandais contrôlaient pratiquement le commerce
extérieur du Siam et les Portugais étaient réduits au rôle de gardes du coips
et de mercenaires.
« Alors profitez-en pendant que vous le pouvez, mijn
heer, ajouta Phaulkon.
— Qui peut nous arrêter? répliqua le Hollandais.
Quelques pirates anglais de Madras? Godverdomme, heer Phaulkon, vous
autres Anglais vous perdez votre temps au Siam. Vous feriez mieux de rentrer à
Madras pour commercer avec vos Indiens.
— Depuis quand détenez-vous le monopole du commerce
au Siam, mijn heer? Vous seriez bien avisé de vous habituer à notre présence.
— Je doute que vous soyez ici assez longtemps pour
que ce soit nécessaire, heer Phaulkon, riposta le Hollandais. Les
autorités siamoises ne tolèrent pas la contrebande. »
Phaulkon sentit son cœur battre plus vite mais son visage
demeura impassible. « Que voulez-vous dire? demanda-t-il nonchalamment.
— Je veux dire que transporter des armes sans
permission est un crime contre l'État. Pour ce qui est de fournir des canons
aux rebelles, heer Phaulkon », reprit le Hollandais guettant une
réaction sur le visage de son interlocuteur, « ma foi, les autorités d'ici ont
d'intéressantes formes de châtiments dans ces affaires, toujours liées à la
nature du crime, vous comprenez. Savez-vous que, dans le cas des conspirateurs,
le moins important des deux est d'abord décapité et sa tête tranchée attachée à
celle du meneur encore vivant afin qu'il puisse la porter quelques jours et
songer tout à loisir à sa faute? Je me demande, poursuivit le Hollandais en
ricanant, qui serait considéré comme le principal conspirateur, vous ou la
reine de Pattani... Et dire qu'elle voulait toujours un farang pendu à son cou.
Ha, ha !
— Vous êtes resté trop longtemps dans cet
avant-poste lointain, heer Van Risling : je crains que le soleil n'ait
affecté votre imagination », observa Phaulkon. Il réfléchissait rapidement. Si
Van Risling avait la preuve qu'il lui fallait, alors pourquoi avoir estimé
nécessaire d'écouter auparavant leur conversation?
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