Le faucon du siam
appelait pour notre exécution.
— Nous l'avons cru aussi, Constant, avoua Burnaby.
Mais comment vous sentez-vous?
— J ai l'impression d'avoir été piétiné par tout un
troupeau, mais la douleur me dit que je suis vivant.
— Rappelez-moi de ne jamais entrer dans l'arène avec
vous, s'exclama Ivatt, toujours aussi jovial.
— Qu'est-ce qui s'est passé là-bas ? demanda
Phaulkon.
— Une trentaine de paysans ont participé à une
étrange cérémonie dans la cour, expliqua Burnaby. Tout d'abord, quand ils se
sont tournés en s'inclinant vers nous, j'ai cru que ces robustes gaillards
étaient nos bourreaux. Mais pas du tout : ils se sont mis sur deux rangs et se
sont attaché un long bout de corde autour de la taille, pour former une chaîne
humaine. Ils se sont ensuite tournés de côté en battant des mains. Pour finir,
ils se sont mis sur deux rangs de quinze hommes chacun tandis que le premier de
chaque rang tendait les mains vers nous. Ils donnaient apparemment une
représentation de notre sauvetage en mer.
— Vraiment ? C'est bien aimable de la part du
gouverneur de se donner tout ce mal, observa Phaulkon. J'espère qu'au moins
vous les avez remerciés.
— Nous nous sommes inclinés en souriant et dans
l'ensemble nous nous sommes rendus assez ridicules, si c'est ce que vous voulez
dire, déclara Ivatt. Mais du moins avons-nous compris cette partie-là. Car la
suite nous a laissés totalement interloqués. Un messager est arrivé à quatre
pattes en annonçant quelque chose de si mémorable que toute la Cour s'est
pâmée. On aurait dit que chaque homme venait de mourir et qu'on lui avait
proposé les clés du paradis.
— Le gouverneur ne cessait de nous lancer des
regards comme s'il regrettait de ne pouvoir nous expliquer, fit Burnaby. J'ai
eu la nette impression qu'il voulait nous faire partager leur joie. »
Phaulkon était intrigué. « Vous ne pouvez me donner aucun
indice ? Que s'est-il passé ensuite ?
— Le Palat au nez camus nous a raccompagnés et s'est
livré à une ridicule pantomime, reprit Ivatt. A un moment, il nous a emmenés
voir un éléphant, puis il a désigné le bras de Richard. Il a répété ce geste
inlassablement comme s'il venait de découvrir qu'ils étaient tous les deux
apparentés. Richard continuait à sourire et à saluer, sans savoir quoi faire
d'autre. Mais l'éléphant n'a pas pris la chose comme ça : il a soulevé la queue
et a lâché un monticule de crottin sur le sol de l'écurie. »
Phaulkon se mit à rire. « Comme c'est curieux que le
Palat n'ait désigné que Richard et pas vous, Thomas. »
Ivatt baissa la tête. « Je suis trop petit pour être
parent d'un éléphant.
— Chut! Silence! souffla Phaulkon. J'entends des
voix. »
Ivatt et Burnaby se turent. Sunida et le docteur
arrivaient, bavardant avec excitation.
Phaulkon tendit l'oreille et perçut nettement la voix de
Sunida.
« ... Pas moyen d'expliquer. Le gouverneur aimerait tellement
leur dire. Pensez-vous qu'il pourrait y avoir un rapport, Honorable Docteur?
— Entre les farangs blancs et l'éléphant blanc?
C'est possible. Le Seigneur Bouddha nous donne souvent des signes. C'est
assurément curieux que les farangs aient surgi au moment précis où l'on
découvrait ce noble animal.
— Comme c'est merveilleux pour notre province,
s'exclama Sunida, tout excitée. Mais il ne faut pas faire de bruit, il dort
peut-être encore.
— J'ai entendu des voix il y a un instant »,
répliqua le médecin.
Ils jetèrent un coup d'œil à l'intérieur et regardèrent
Phaulkon. Il avait les yeux fermés. Ivatt posa un doigt sur ses lèvres pour
indiquer qu'ils attendaient en silence le réveil de leur ami.
Le médecin parut comprendre : il hocha la tête et fit
signe à Sunida de partir avec lui.
A peine eurent-ils disparu que Phaulkon ouvrit les yeux.
Burnaby et Ivatt s'approchèrent.
« Oh, mon Dieu, observa Ivatt, il a le même air extasié
que les courtisans il y a quelques instants. Ce doit être contagieux. »
Les pensées se bousculaient dans l'esprit de Phaulkon :
il oubliait un instant ses souffrances devant les immenses possibilités que
l'événement semblait lui offrir.
« Qu'est-ce que vous avez entendu ? demanda Burnaby en se
penchant.
— Éclairez-nous, ô oracle », supplia Ivatt.
Phaulkon se souleva péniblement sur un coude et
dévisagea ses compagnons.
« Il semble qu'on ait découvert un éléphant blanc fort
rare dans les forêts de Ligor,
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