Le faucon du siam
filles et nièces
des dignitaires du palais ainsi que leurs esclaves femmes se montraient pour la
première fois, arborant des panungs plus amples que ceux des hommes. Sunida
était là aussi, magnifique dans un panung noir. Le noir, rehaussé de broderies
d'or ou d'argent, était manifestement la couleur dominante : Phaulkon se
demanda si c'était la mode du jour ou simplement la couleur préférée des
femmes. Elles avaient le teint un peu plus pâle que celui de la paysanne
moyenne car elles passaient moins de temps en plein air. Mais, contrairement
aux hommes, elles avaient le torse nu, couvert seulement d'une écharpe de
mousseline blanche nonchalamment drapée sur leurs seins. Des boucles d'argent
ou d'or en forme de poire pendaient à leurs oreilles et les trois derniers
doigts de chaque main étaient lourdement chargés d'une multitude de bagues :
diamants ou autres pierres précieuses. Elles avaient aussi les ongles
excessivement longs : on ne les avait jamais coupés, comme c'était la coutume
dans l'aristocratie, et l'ongle du petit doigt de chaque main était peint en rouge.
Leurs cheveux noirs luisaient d'une huile à l'odeur douce et une pommade
parfumée faisait paraître plus pâles leurs lèvres. Des marques de craie blanche
au-dessus de leurs seins indiquaient qu'elles venaient de prendre un long bain
rituel et qu'elles étaient donc prêtes pour une visite aussi importante que
celle-ci. Les dames étaient d'une propreté impeccable, inondées de parfum et
fort séduisantes.
Un murmure d'approbation salua les trois farangs quand
ils arrivèrent, revêtus de leurs habits de cérémonie brochés. Celui de Burnaby
était ridiculement court pour lui, mais personne ne parut s'en soucier. Le
gouverneur leur indiqua des coussins auprès du Palat. On remarquait l'absence
du Hollandais.
À peine l'assemblée s'était-elle assise en tailleur qu'on
fit entrer, pour les installer au premier rang, une file de douze vierges aux
seins nus dans tout l'éclat de leur jeunesse, leurs cheveux noirs coupés court
et bien huilés. Leurs simples panungs blancs contrastaient nettement avec la
tenue généralement noire des dames de la Cour.
Une sonnerie de trompettes et un fracas de cymbales
annonça alors l'arrivée du grand animal blanc devant les murs du palais. On
ouvrit toutes grandes les portes, les gardes se prosternèrent et l'animal sacré
fit son entrée dans l'enceinte du palais. Il était orné de guirlandes de jasmin
et précédé de six prêtres brahmaniques psalmodiant des prières, et tout de
blanc
vêtus. Pour le protéger du soleil on tenait au-dessus du
jeune éléphant un immense parasol rouge et quatre mahouts marchaient d'un pas
déférent à ses côtés pour le guider. Toute autre bête aurait été montée par son
mahout : mais le roi lui-même n'aurait pas songé à chevaucher un ancien prince,
peut-être — qui sait — un de ses propres ancêtres.
Toute l'assemblée était face contre terre. Du coin de
l'œil, Phaulkon regarda les douze vierges choisies parmi des volontaires des
villages à proximité desquels on avait découvert l'éléphant. Elles s'avançaient
et se prosternaient dans son sillage. L'animal avait une taille d'environ deux
mètres cinquante et il avait la peau d'un blanc crème. Ses ongles et le bord de
ses oreilles semblaient plus blancs encore. Il s'arrêta devant la cohorte
silencieuse des vierges et les examina de ses petits yeux roses, comme s'il
mesurait leurs divers mérites. Les jeunes filles se mirent à genoux et
inclinèrent la tête, attendant son verdict. Sans une hésitation, il se dirigea
vers une jolie fille au milieu de la rangée et leva sa trompe jusqu'à ses seins
nus.
La jeune vierge s'offrait volontiers à la caresse de
l'animal, frémissant de l'honneur d'avoir été choisie. Elle ferma les yeux et
joignit les mains respectueusement au-dessus de sa tête, s'abandonnant de tout
son cœur aux avances espiègles de l'éléphant. Immobile, elle le laissa lui
passer la trompe sur les seins et sur le nombril et humer ses épaules nues.
Quand il fut apparemment rassasié de la jeune fille, la bête royale jeta un
bref regard aux autres, puis passa son chemin. L'heureuse élue qui avait eu
l'honneur d'être caressée par l'animal allait maintenant être choisie comme
compagne de Sa Majesté le roi.
Guidé par le mahout, l'éléphant se dirigea vers le
gouverneur. Le Palat accroupi tendit à son maître un plateau en or chargé de
cannes à sucre, de
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