Le faucon du siam
un
formidable coup de pied à la tempe de Phaulkon. C'était une ruade redoutable.
Phaulkon sentit sa vision se brouiller. Instinctivement
il battit en retraite, esquivant juste à temps de sorte que le coup suivant du
colosse le manqua de peu. Au moment où la tête de son adversaire se penchait en
avant, emporté qu'il était par son élan, Phaulkon lui asséna sur le crâne un
violent coup de coude : il l'assomma mais sentit en même temps un élancement
douloureux lui traverser le bras.
Le Siamois s'effondra en avant avec une horrible grimace,
cherchant sa respiration. Phaulkon savait qu'il n'avait pas un instant à perdre
mais son bras avait perdu toute force. Il s'empressa de décocher un coup de la
plante du pied dans le dos du colosse prostré. Le Siamois poussa un cri de
douleur mais, toujours agile, roula hors de portée jusqu'au coin. Phaulkon le poursuivit.
Là, l'homme se retourna et, bondissant soudain sur ses pieds, il fit front. Au
moment où le Grec plongeait en avant, le Siamois esquiva et l'empoigna par le
cou, le secouant vers le bas tandis qu'en remontant son genou frappait Phaulkon
en plein visage. Il y eut un horrible craquement et le Grec tomba en arrière
sur l'herbe, se tenant le visage à deux mains. L'arène recula devant lui et,
quand il distingua de nouveau la silhouette de la brute, l'homme était planté
au-dessus de lui, furieux, ayant retrouvé toute sa confiance et impatient de
porter le coup de grâce. Phaulkon constata que l'homme saignait abondamment du
nez et qu'il se passait sans cesse la langue sur les lèvres pour étancher le
flot de sang. Si seulement je pouvais rassembler mes forces, se dit-il.
Au prix d'un suprême effort, il oublia sa peur et son
épuisement et se remit tant bien que mal sur ses pieds. Aussitôt un coup de
coude le frappa en pleine mâchoire et une aveuglante série de coups de pied sur
les côtes et sur les reins provoqua dans tout son corps un élancement
douloureux.
Tout commençait à devenir flou. Il lançait ses poings de
façon désordonnée dans la direction d'où venaient les coups : parfois il
faisait mouche mais souvent ne rencontrait que le vide. Il entendait vaguement
le rugissement de la foule. Il n'avait plus l'énergie de se défendre pour parer
les coups de pied et les coups de coude qui pleuvaient sur lui de toutes parts.
Puis un véritable coup de massue le frappa au plexus et lui coupa le souffle;
tout se mit à danser autour de lui et il s'effondra. Il n'entendit pas
l'arbitre annoncer la fin du combat.
Ivatt et Burnaby se précipitèrent tandis que le
gouverneur ordonnait à son médecin personnel de soigner Phaulkon sans tarder.
Les deux Anglais écou-tèrent avec angoisse la traduction : masquant à peine sa
satisfaction, Van Risling annonça que Phaulkon souffrait de nombreuses
contusions, avait une lèvre ouverte, les deux yeux au beurre noir et une
foulure au coude. Des porteurs le déposèrent avec précaution sur un brancard de
bambou et, sur l'ordre du gouverneur, le transportèrent jusqu'au palais. Ivatt
et Burnaby le suivirent.
Le colosse se dirigea vers le gouverneur et se prosterna
brièvement. Sans même laisser à Son Excellence le temps de lui demander d'où il
venait, il se glissa dans la cohue et disparut.
Tandis qu'on emportait la civière, la foule éclata en
bruyantes acclamations. Le Hollandais et le gouverneur se levèrent tous deux,
l'un pour lancer un regard haineux, l'autre pour rendre hommage au farang qui s'était
battu comme un tigre.
9
Lorsque Phaulkon s'éveilla, il était dans l'obscurité la
plus totale. Il avait le corps moulu, le crâne endolori et le moindre mouvement
lui faisait mal. Ses yeux peu à peu s'habituèrent à la pénombre. Il tourna
lentement la tête et distingua une silhouette pelotonnée au pied de sa
paillasse. Il la considéra un moment, mais elle ne bougeait pas. Il ne se
souvenait pas qu'un meuble se soit trouvé si près de son lit : sans doute
s'agissait-il d'un être humain, peut-être un garde ou un médecin qui s'était
endormi. Il s'obligea à se concentrer malgré la migraine qui lui martelait les
tempes. Les événements des dernières heures — il n'avait pas un sens précis de
leur durée — lui revenaient par bribes. L'arène de boxe, sa première victoire,
puis sa défaite devant cette brute. L'image du boxeur au cou de taureau se
dessina devant lui avec précision. Il revit le regard mauvais, les yeux froids
et étroits sans la moindre lueur
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